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de l’anarchie et prend le parti de les effacer, si elle est libre, ou demies laisser réparer par la main d’un maître, si elle est esclave. Les lois dans lesquelles une nation immobilise alors son avenir ne sont souvent que des transactions que la lassitude arrache à l’esprit de progrès et de nouveauté ; mais, tandis que chez certains peuples la mobilité des esprits force le législateur à reprendre perpétuellement son œuvre, chez d’autres l’activité législative ne répond qu’à de rares évolutions et ne s’éveille qu’à de longs intervalles.

Yéyas fut un de ces réformateurs heureux qui trouvent au même moment leur œuvre préparée et leur génie prêt. Issu d’une famille d’origine impériale, entouré de serviteurs dévoués qui l’avaient aidé à vaincre, maître de la rébellion, il songea à éterniser au profit de sa postérité une domination pacifique, et au profit de son pays une forme de gouvernement immuable. Tout ne lui appartient pas dans ses lois ; on retrouve dans la partie morale l’influence de Confucius, la théorie des cinq devoirs réciproques de souverain et de sujet, de père et de fils, de mari et de femme, d’aîné et de cadet, d’ami et d’ami, l’examen personnel de soi-même et toute la philosophie contemplative et froide des écoles chinoises. Sa sagacité lui enseignait qu’il faut dans les réformes conserver tout ce qu’on peut du passé, et qu’il n’est pas dans les édifices nouveaux de matériaux plus solides que ceux qui ont subi déjà l’épreuve du temps. Œuvre composite où se mêlent des préceptes de morale, des lois constitutionnelles, des pénalités, des souvenirs personnels et des conseils sur l’art de gouverner, la législation de Yéyas a beaucoup plus le caractère d’un testament que celui d’un code. Les recommandations d’un politique habile et dissimulé y tiennent trop de place pour être impunément soumises aux regards des profanes ; aussi ne pouvaient-elles être consultées que par certains dignitaires.

La première nécessité qui s’imposait au shogoun était de régler définitivement ses rapports avec le gouvernement du mikado. Reléguer celui-ci à Kioto et s’établir à Yeddo, c’était quelque chose, ce n’était pas assez. Le souverain était confiné dans un modeste palais, au milieu d’une ville dominée de tous côtés par des montagnes, et dont la seule issue vers la mer était gardée par le château d’Osaka, magnifique forteresse confiée à un fidèle du shogoun. Dans Kioto même résidait un de ses délégués sous le titre de gouverneur, et avec la mission réelle d’exercer une surveillance incessante sur tous les actes de la cour et jusque sur la police intérieure. En même temps les fonctions de grand-prêtre du temple de Heizan à Yeddo furent confiées à l’un des proches parens du mikado, afin qu’on eût toujours sous la main, sinon un otage, du moins un rival à lui opposer en cas de conflit. D’autre part le shogoun est seul en rapport avec la cour de Kioto, à laquelle aucun