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ces ciselures sur métaux, toutes ces œuvres de patience qui exigeaient de longues années de labeur avant de donner un profit. Chaque année, au retour de Yeddo, le possesseur d’une province devait y faire une tournée d’inspection pour s’assurer du bon ordre et veiller aux réformes nécessaires, et nous venons de voir quel soin il mettait à étouffer les plaintes avant qu’elles n’arrivassent à Yeddo. Les feudataires n’étaient pas d’ailleurs exempts de tout contrôle. Leur juridiction seigneuriale était, du moins pour les plus petits, limitée à certaines pénalités ; les simples possesseurs de siro (château) ne pouvaient infliger la peine capitale et devaient, le cas échéant, en référer au gouvernement central.

Au-dessous des daïmios et à leur charge vivait une petite aristocratie pensionnaire, nombreuse, et revêtue de privilèges importans. Le samouraï avait le droit de porter deux sabres et de ne payer en voyage que ce qu’il voulait, c’est-à-dire de voyager à peu près gratis à la charge des aubergistes. Il était séparé du peuple par une ligne infranchissable ; il pouvait, comme le prince, entretenir à côté de la femme légitime une mékaké (concubine).

Enfin, bien au-dessous de cette classe privilégiée à divers degrés, vivait la classe populaire, divisée en catégories (paysans, artisans, marchands), n’offrant pas d’intérêt au point de vue du droit public, troupeau soumis et obéissant, pour lequel le législateur recommande une large sollicitude, dont lui-même donne l’exemple, mais de qui il attend en échange une docilité sans bornes. C’est sur cette assise de roche primitive que repose toute la constitution. « Le peuple est la base de l’empire » (art. 15). Du shogoun au plus petit fonctionnaire, chacun a envers lui des devoirs dictés par la morale et proclamés par la loi. Le gouvernement doit s’efforcer de le pourvoir à bon marché des alimens nécessaires et veiller sur l’accaparement ; le chef de l’état doit « le considérer avec des yeux de mère » (art. 98). Il doit pour aider le peuple donner la paix à l’état. Les nobles de tous rangs lui doivent bienveillance, douceur et protection. C’est à ces enseignemens que se bornent les Cent-Lois. On y chercherait en vain quels sont les droits de cette foule et quel recours lui est ouvert quand ils sont violés. On a vu ce qu’il en peut coûter pour exercer le droit de pétition ; les autres droits ne sont même pas soupçonnés à l’heure qu’il est. Le droit public, entendu comme réglant les rapports de l’autorité avec l’individu, se réduit à ce double conseil : « obéissez ! » donné aux uns, « n’ordonnez que le bien, » donné aux autres. A cet égard, tous les détenteurs de la force sont solidaires contre la plèbe. Quiconque porte le sabre doit exiger d’elle un respect illimité ; quiconque est ou se croit insulté doit punir immédiatement le coupable. Rien n’est plus digne d’être noté sur ce point que les termes de l’article 45 :