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la mer de glace qui sépare le glacier du Finsteraar de celui de Grindelwald.


III

Depuis longtemps, le phénomène du mouvement des glaciers préoccupait les observateurs. Horace-Bénédict de Saussure pensait que les glaciers fondent à la base par l’action de la chaleur terrestre et que, perdant ainsi leur adhérence avec le sol, ils glissent sur les parties déclives. Le grand explorateur des Alpes s’était rendu dans la vallée de Chamounix pendant l’hiver, et, après avoir vu des ruisseaux assez considérables s’échapper des glaciers, il n’avait plus douté. Les physiciens en général trouvèrent l’explication satisfaisante. Tel n’était pas l’avis cependant de Charpentier, célèbre par ses belles études sur les montagnes, moins encore celui d’Agassiz. Le professeur de Neuchatel n’hésite pas à nier toute action provenant de la chaleur terrestre ; il déclare impossible le glissement dû à une telle cause, les glaciers étant gelés sur leur fond. Il se persuade que le mouvement est occasionné par l’eau qui s’infiltre dans les fissures capillaires de la glace ; mais la démonstration n’était pas faite, les preuves manquaient. Agassiz se promet de les rechercher. Si c’est la chaleur terrestre, pense-t-il, qui en fondant les glaciers à la base détermine le glissement, l’action doit s’exercer toute l’année malgré les variations de l’atmosphère ; en hiver aussi bien qu’en été, chaque glacier doit continuer à fournir de l’eau. Comme les sources abondent dans ces régions, il importera de reconnaître si l’eau provient des sources ou du glacier. La distinction est facile ; l’eau de source est toujours limpide, l’eau des glaciers toujours chargée de parties terreuses et de mica qu’elle enlève à la couche de boue et de gravier interposée entre la glace et la roche. Ayant cent fois retourné en son esprit ces premiers aperçus, le bouillant investigateur ne songe plus qu’à escalader en plein hiver les glaciers de l’Oberland, qui dans le cours des étés précédens avaient fait le sujet de patientes études. Le projet, communiqué à M. Desor, trouve un approbateur ; Agassiz ne partira point seul. Traverser des champs de neige et grimper sur des glaciers au mois de février ou de mars était pourtant une folie, même aux yeux des rudes et hardis habitans des Alpes. Les avalanches, les ouragans, les précipices dissimulés sous les couches de neige, sont des dangers auxquels on ne saurait échapper que par une sorte de miracle.

L’intendant de l’hospice du Grimsel, ayant domicile à Méiringen, dans la vallée de Hasli, avait les années précédentes donné une