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tout-puissant s’attribuait le juge, et quel arbitraire parfois bienfaisant régnait dans l’application de la loi.

Le sin-ritz-ko-rio ou loi pénale réformée, quoique de rédaction moderne, est empreint du même esprit de rigueur et d’inégalité. On y peut suivre la transformation actuelle de la société japonaise. Tandis qu’autrefois pour le même fait le noble était puni d’heimon (arrêts forcés), et le roturier emprisonné ou battu, aujourd’hui les peines corporelles peuvent être évitées par l’un et l’autre en payant une amende ou plutôt une composition tarifée ; voici l’aristocratie d’argent qui parait à la place de l’aristocratie de naissance. L’article 52 des Cent-Lois avait maintenu le droit de vengeance personnelle, et l’avait seulement astreint à une déclaration préalable ; le nouveau gouvernement veut détruire l’esprit de clan et punit la vendetta, la centralisation s’essaie à renverser l’indépendance locale ; mais, avant d’arriver à la récente période législative, il nous reste à examiner les conditions d’existence de cette oligarchie.

Tout système hiérarchique, pour être complet, doit se refléter dans les choses ; c’est sur le sol même qu’il doit avoir ses premières assises. A des classes de personnes correspondent nécessairement des classes de terre ou des titres divers de possession ; l’échelle des domaines représente celle des castes. Au mikado revenait le domaine éminent sur tout le territoire de l’empire ; en acceptant sa suzeraineté théorique et en lui demandant l’investiture, le shogoun s’interdisait de porter la main sur ses droits ; mais il s’en réservait l’exercice et disposait en fait des terres à son gré. L’état jouissait, en vertu de son domaine éminent, du droit de chasse et de l’exploitation des mines. « L’or, dit un auteur japonais, est comme les ossemens du corps humain qui ne se renouvellent pas, tandis que le sang et les chairs se renouvellent, de sorte qu’exploiter les mines, c’est épuiser et par suite appauvrir le pays. » Étrange économie politique, encore mal désapprise ! Les daïmios n’étaient légalement investis que de l’administration et de la jouissance à perpétuité de leurs provinces ; ils se considéraient néanmoins par un long usage comme nantis de la propriété et capables de la transmettre à leurs bayshin ou vavassaux. Ces derniers n’étaient en réalité que des usufruitiers perpétuels, incapables d’aliéner directement, et à défaut de descendans l’usufruit retournait au seigneur. Quant aux paysans, ils n’étaient que des fermiers détenant la terre en vertu d’une emphytéose à perpétuité, à charge d’une redevance annuelle dont le chiffre variait suivant les lieux. Les femmes, n’étant aptes ni à cultiver, ni à porter les armes, ne pouvaient posséder ni à titre de métairie, ni à titre de seigneurie féodale ; les étrangers ne pouvaient devenir propriétaires du sol d’aucune façon. Il en est encore ainsi aujourd’hui, et l’une des