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bonheur, la longue vie et la nombreuse postérité des jeunes mariés. Telle est la solennité essentielle ; accessoirement les époux échangent divers cadeaux, entre autres la jeune fille apporte deux seaux de bois où l’on mettra sa tête et celle de son complice, si jamais elle devient adultère. Elle en explique l’aimable usage en les offrant. La femme conserve avec elle chez son mari une vieille servante (obasan), qui est chargée de faire aux parens le rapport circonstancié des faits et gestes du nouveau ménage. Chez les gens du peuple, la cérémonie se borne à un repas que les parens et les époux font en commun, après quoi il est entendu qu’ils vivront comme mari et femme. Rien n’est plus frappant que cette absence de formalités en pareille matière chez un peuple si formaliste. Il en est de même dans tous les actes de la vie civile.

La femme aussitôt mariée sort de sa famille naturelle pour tomber, comme chez les Romains, sous la puissance du mari, ou, si celui-ci n’est pas encore chef de famille, sous la main du père ou de l’aïeul de son mari. Elle est comptée au nombre des enfans et doit en conséquence à ses beaux-parens les mêmes égards qu’une fille. Même après la mort du mari elle leur doit des alimens dans le besoin. Le mari a un pouvoir absolu sur sa femme, elle ne doit se mêler en rien des affaires du dehors. « C’est une règle juste et reconnue dans le monde entier, dit Yéyas, qu’un fidèle mari s’occupe des choses du dehors, tandis qu’une fidèle épouse prend soin de son menage. Lorsqu’une femme s’occupe du dehors, son mari abandonne ses devoirs, et c’est un présage de la ruine de la maison. Il ne faut pas que la poule s’habitue à chanter à l’aube, c’est un fléau dont tout samouraï doit se garder. » L’époux dispose de tous les biens qu’apporte sa femme (elle ne possède rien), il peut la vendre elle-même en cas de pressant besoin ; mais il faut s’empresser d’ajouter qu’il use rarement de ce pouvoir excessif. Il peut aussi la répudier pour des causes assez multiples : en cas de stérilité, — en cas de jalousie exagérée de la part de celle-ci, — dans le cas où elle parlerait « comme un perroquet » et troublerait ainsi la paix du ménage, — en cas d’irrévérence envers les parens du mari, — en cas d’incapacité dans la direction de la maison et des enfans. On s’explique difficilement après cette énumération qu’il se soit trouvé deux Européennes pour profiter de la nouvelle loi, qui permet les mariages internationaux ; ajoutons qu’aucune n’est Française. De son côté, la femme peut demander le divorce en cas de prodigalité du mari ou par consentement mutuel. L’adultère du mari n’est puni que chez les samouraï et de peines simplement disciplinaires (arrêts forcés) ; quant à celui de la femme, il donne au mari non-seulement le droit de la chasser, mais celui de la tuer avec son complice ; s’il tue l’un sans l’autre, il est considéré