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et puni comme meurtrier. La femme divorcée ne peut emmener ses enfans si elle en a eu (mais le divorce est rare dans ce cas) ; elle quitte la famille du mari, rentre dans sa famille naturelle et peut se remarier, si elle en trouve l’occasion, ce qui n’est pas fréquent.

L’association conjugale, qui, sous l’influence du christianisme, a pris dans les sociétés de l’Occident une si haute importance sociale, n’en a ici, comme on le voit, qu’une très restreinte. Les mœurs exigent tout de la femme, rien du mari ; elles créent pour l’une un lien que la mort peut à peine dissoudre, pour l’autre une société où il ne restera engagé qu’autant qu’il lui plaira. Comme le gouvernement despotique ne réclame ni forte éducation dès l’enfance, ni éducatrices, la femme ne sera qu’un docile instrument de propagation de l’espèce et une servante obéissante.

S’ils n’ont pas adopté la polygamie, les Japonais appliquent une institution qui s’en rapproche beaucoup. Le mari peut introduire dans la maison, sous le titre de servantes, une ou plusieurs mékaké, suivant son rang. Les Cent-Lois en accordent huit aux daïmios, cinq aux grands-officiers, deux au simple samouraï, aucune au vilain ; mais elles sont loin d’encourager cette pratique, qui du reste ne réclame pas d’encouragement, car elle s’est conservée très exactement jusqu’à nos jours. La mékaké n’est en théorie qu’une domestique, et, pour sauver l’amour-propre de la femme légitime, c’est celle-ci qui est censée en faire don à son époux. Les enfans issus de la mékaké ne sont aptes à succéder au père qu’à défaut d’enfans issus de l’épouse, et par une loi contre nature, tandis que leur mère naturelle reste pour eux une domestique, c’est la femme de leur père, leur marâtre, que les enfans doivent considérer et traiter comme une mère. Si celle-ci les accepte et si le père les adopte, ils prennent le pas, en qualité d’aînés, même sur les fils légitimes qui naîtraient après eux. La femme du peuple est donc sous ce rapport mieux traitée que la femme noble : elle ne partage pas avec une autre l’autorité domestique, et, comme elle sait en même temps se rendre plus utile, elle jouit d’une certaine considération qui paraîtrait probablement suffisante au bonhomme Chrysale.

Le véritable centre de gravité de la famille, ce n’est pas le ménage, c’est le père de famille. « Chaque sujet doit être prêt à épuiser pour l’empereur ses forces, son intelligence et ses biens, chaque enfant pour ses parens, chaque élève pour son maître, car à l’empereur il doit sa nourriture, à ses parens il doit l’existence, à son maître il doit l’instruction, et la vie n’est pas possible sans ces trois bienfaits. » Fondée sur ce principe, la puissance paternelle est illimitée. De tous les crimes, le plus grave, c’est de manquer au devoir filial, et, pour l’honneur du Japon, on peut ajouter, le plus rare. Le père peut vendre ses filles, si elles ne s’y refusent pas, et ce