Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/285

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sens ; quant au despotisme absolu, il est environné des périls que nous avons signalés. Tous les élémens font défaut à la fois. C’est à jeter les fondemens de la société future qu’il faut travailler ; il faut établir une base qui manque aujourd’hui, et pour cela créer un tiers-état.

Si surprenante que puisse paraître l’idée au premier abord, elle a prouvé sa vitalité par le commencement d’exécution qu’elle a reçu. Déjà la classe des marchands, entrepreneurs de travaux industriels, banquiers, a été tirée du mépris où elle était reléguée ; on a supprimé les lois somptuaires qui lui défendaient de jouir de sa richesse, l’empereur a, au grand scandale des vieux courtisans, rendu visite à un marchand et accepté son hospitalité. Dans l’armée, le recrutement appelle sous les armes les fils de marchands et de paysans ; dans les écoles, l’instruction est donnée non-seulement aux fils des samouraï, mais aussi aux fils des riches négocians. A l’ancienne noblesse succède peu à peu une classe plus instruite, plus active, plus laborieuse, composée de petits officiers des derniers rangs, de marchands enrichis, de lettrés, classe moyenne obéissante et modérée qui, consultée à propos, peut devenir un excellent point d’appui pour la monarchie. Autant la plèbe est incapable à jamais de se gouverner elle-même ou de soutenir ses gouvernans, autant cette bourgeoisie naissante promet d’être, après sa formation, propre à hâter le développement du pays. Il s’agit donc de favoriser l’accroissement de ce tiers-état, mais sans oublier que ses progrès doivent précéder ses droits politiques, que les uns et les autres doivent provenir de son initiative, et qu’on l’embarrasserait plus qu’on ne l’aiderait dans sa croissance par des concessions prématurées et des prérogatives qu’il ne réclame pas encore. C’est dans son sein que devra se recruter un jour le parlement ; mais il serait inutile et dangereux de l’appeler à y siéger tant qu’il ne sera pas arrivé à la conscience de lui-même.

Dans la sphère administrative, le gouvernement poursuit une œuvre de centralisation nécessaire ; mais, s’il doit y persister énergiquement, il a en même temps pour devoir de respecter l’esprit du municipe, tout en combattant l’antique esprit provincial. Au clan toujours en révolte, il doit substituer les communes, groupes à la fois dociles et solides, qui, par leur personnalité, lui assurent un élément actif, comme par leur cohésion ils lui fourniront un élément de stabilité. Si l’on peut emprunter à l’étranger des méthodes et parfois même des institutions, on ne peut se flatter d’un succès qu’en utilisant les élémens que l’on possède déjà. Nous avons bien des fois, dans le cours de cette étude, signalé l’esprit d’association limitée qui semble indiquer chez les Japonais l’ancienne existence