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remarquable dans leur costume, tout à fait européen, mais toutes sont habiles écuyères et se tiennent avec élégance. Les types sont des plus variés : les blanches, étrangères ou nées dans le pays, n’ont pas rang à part et s’y mêlent à la mulâtresse, à la china, à la parda, la couleur plus ou moins brune de la peau n’ayant ici aucune importance sociale ; les pardas même, filles au teint cuivré, aux traits fins, au type indien raffiné, sont ordinairement bien supérieures en beauté aux Européennes ou à la généralité des descendantes pures d’Européens. Ce n’est guère qu’à Buenos-Ayres que l’on trouve de beaux types créoles : l’air de la pampa détruit vite la finesse de la peau ; seules les pardas, dont les traits réguliers et le teint naturellement cuivré ne s’altèrent pas, conservent sur leur visage les preuves de leur jeunesse là où les blanches perdent au même âge toute trace de beauté. Les femmes ne paraissent à ces réunions que lorsqu’elles se tiennent au village, elles ne vont pas à la pulperia, et généralement restent à la maison, mais ne filent pas la laine, ayant aussi peu que les hommes le goût du travail ; faire bouillir de l’eau et sucer dans un tube de métal une infusion de thé du Paraguay, appelé mate, du nom du récipient où il se prépare, est leur seule occupation. Le succès du pulpero est fait, on peut le dire, de la tristesse de l’habitation. Plantée seule au milieu de la plaine, comme une sorte de tente-abri provisoire, sans culture, sans arbres, sans rien qui dénote la présence d’un homme industrieux, elle est un lieu de tristesse par excellence : le délabrement qu’elle présente, la misère qu’elle exhale, l’oisiveté, la font plus vide encore, éloignent l’habitant ; négligeant même l’heure des repas et de la sieste, il s’enfuit au galop de son cheval et va chercher à deux ou trois lieues la pulperia. La famille surveillera le troupeau, mais ne fera rien pour améliorer cet intérieur. Le gaucho a femme et enfans ; rarement il a un état civil, rarement il est marié, faute de villages, de moyens de transport, surtout par indifférence. Le gouvernement ne fait rien pour améliorer cette situation ; quant au gaucho, s’il est indifférent à des formalités qu’il comprend à peine, il respecte du moins les liens qu’il s’est créés et élève ses enfans, comme il a été élevé lui-même, jusqu’à ce qu’ils puissent aller seuls à cheval. A trois ou quatre ans, ils savent se tenir en selle et essayer un galop sur un cheval bridé d’une simple corde passée dans la bouche ; à six ans, ils gardent les moutons et ne craignent pas à dix ou douze de monter les chevaux les plus difficiles. Ils puisent dans cette éducation l’habitude de ne rien faire de leurs bras et reculeront toujours devant tout travail qui ne puisse se faire à cheval ; appliquant leur esprit inventif à substituer ce complaisant auxiliaire à eux-mêmes dans tous les efforts que les circonstances leur imposeront, sans autre instrument qu’un lasso attaché à une sangle fortement serrée autour du