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ventre du cheval, ils pourront exécuter tous les travaux de force.

En dehors de ces anciens habitans d’un caractère peu envahissant, la pampa est peuplée d’étrangers venus de tous les points du globe et conquérant chaque jour tous les avantages que le gaucho délaisse, le repoussant lui-même comme fit autrefois l’Espagnol de l’Indien, le reléguant aux extrêmes limites de la partie peuplée, sur la lisière de la civilisation, au seuil tous les jours reculé de la barbarie. Cet envahissement date à peine de quelques années ; l’immigration, aujourd’hui si protégée, était en effet prohibée par les lois espagnoles. Avant la proclamation de l’indépendance en 1810, il fallait, pour pouvoir résider dans la vice-royauté, solliciter préalablement l’autorisation royale, et, pour y exercer le commerce, justifier d’une résidence de vingt ans en Espagne ou en Amérique, y avoir pendant dix ans possédé des biens immeubles d’une valeur d’au moins 4,000 ducats ou avoir épousé une fille du pays. Le nouveau régime, loin d’amener une transformation dans un sens libéral de cette législation étrange, fut au contraire l’occasion d’une recrudescence de prohibitions dirigées contre les Espagnols européens, mais qui atteignait de fait tous les étrangers ; c’est ainsi qu’en 1817 on leur interdisait le mariage avec les filles nées dans le pays et en 1819 les charges de tuteur, curateur ou exécuteur testamentaire, imposant en outre leurs successions d’un droit de 50 pour 100. Ces lois prouvent assez sur quels principes économiques et politiques se fondait le nouveau régime, républicain de nom, mais de fait tyrannique et prohibitif à l’excès. Ce ne fut qu’en 1821 qu’une première loi ouvrait au gouvernement un crédit destiné à favoriser la venue de familles laborieuses pour augmenter la population de la province, mais sans lever cependant. Ces prohibitions, que l’Angleterre combattit la première en 1825 avec un succès presque complet, consigné dans le traité qui porte la date du 2 février de cette année.

Cette législation rétrograde et l’état politique du pays suffirent à éloigner les étrangers ; aussi malgré l’abrogation déjà ancienne de ces lois d’un autre âge, étaient-ils fort rares jusqu’en 1852. Ceux qui débarquaient à Buenos-Ayres y restaient et ne se risquaient pas à tenter la colonisation, dans la campagne, domaine exclusif alors du gaucho. Jusqu’en 1862, l’envahissement a été lent, mais il s’est étendu rapidement depuis cette époque, qui marque la fin des révolutions permanentes de Buenos-Ayres. Alors en effet commença l’établissement de chemins de fer dans toutes les directions, et les capitaux sortirent avec eux de la ville, si bien qu’aujourd’hui dans la limite des frontières il n’est pas de point où l’étranger ne domine. Les premiers venus et les plus nombreux au début furent les Basques français et espagnols, travailleurs, opiniâtres, qui