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et les marques à feu dont tous les chevaux sont déshonorés. En effet, la propriété des animaux ne s’affirme dans la pampa que par l’application d’une marque à feu ; le poulain reçoit à un an sur la cuisse la marque de son propriétaire, qui en cas de vente l’applique de nouveau en même temps que l’acheteur la sienne ; l’animal n’a donc changé de propriétaire qu’une fois, et il a déjà été marqué trois fois au fer rouge. Ces hiéroglyphes, qui s’entremêlent sur la cuisse gauche de tous les animaux, n’ont rien de gracieux et ôteront en Europe beaucoup de leur valeur aux chevaux importés. Il faudrait, pour éviter cet inconvénient, que les propriétaires renonçassent à cet usage, ce qu’ils ne pourront faire que lorsque leurs terres seront assez fermées pour être infranchissables pour les animaux retenus dans ces enceintes. Ces temps sont loin, c’est là une dépense inabordable, et les fermetures de fil de fer raidi et soutenu par des pieux, en usage jusqu’ici, n’ont été qu’un obstacle illusoire à la fuite des animaux et particulièrement des chevaux.

Le second inconvénient sera, jusqu’à de nouveaux perfectionnemens, l’aspect et la taille des chevaux. Il faut bien le dire, l’œil habitué aux races européennes ne rencontre guère dans celles-ci que des laideurs de détail dont l’ensemble est rarement supportable. Le cou est court et fort, la tête petite, l’arrière-main sans vigueur et sans élan ; de plus la taille, et c’est là une question majeure, est en moyenne au-dessous de celle adoptée par la remonte de la cavalerie, et ce défaut est malheureusement plus prononcé encore chez les jumens, presque toutes fort petites ; sans cela, il serait toujours préférable d’exporter des pouliches de trois ans, dont le prix est minime, étant complètement dédaignées.

Aucun de ces défauts n’est irréparable. Déjà de riches propriétaires se sont occupés de la question pratiquement. Les Anglais ont importé des étalons et créé des types métis qui brillent aux courses de Buenos-Ayres, d’autres ont importé des étalons de France et d’Allemagne et obtenu des chevaux de carrosse de belle apparence ; faute de demandes pour d’autres espèces, les éleveurs ont tous porté leur attention de ce côté, et le luxe des voitures a jusqu’ici largement récompensé ces tentatives. Que la demande se présente pour les chevaux de selle d’une certaine taille, et l’on verra bientôt les efforts intelligemment conduits la satisfaire et trouver dans la plus-value le remboursement de frais considérables de première installation et d’importation d’étalons et de jumens. Les moyens de transport ne manqueront pas aux innovateurs ; il arrive chaque mois à Buenos-Ayres vingt ou vingt-cinq steamers d’outre-mer, dont quelques-uns, très spacieux, sont spécialement aménagés pour le transport d’un grand nombre d’émigrans ; au retour, les vastes entre-ponts réservés pour cet objet étant vides, rien n’est plus facile