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police étant remplie, l’estanciero peut reprendre partout où il les rencontre non-seulement les animaux sur pied, mais même les cuirs en poils sur les marchés ; les peines les plus sévères frappent ceux qui s’emparent d’un animal marqué ou colportent, sans laisser-passer du juge de paix, des cuirs dont la propriété ne leur a pas été régulièrement transmise. Il n’existe pas d’autre moyen de sauvegarder les droits de chacun ; on a vu en effet, dans des années de grande sécheresse, jusqu’à deux millions de bêtes à cornes réunies dans des plaines de 40 ou 50 lieues que le fléau n’avait pas atteintes ; sans la marque, ces mélanges seraient inextricables, et, malgré l’habitude de ces animaux de retourner là où ils ont été élevés, beaucoup seraient perdus pour leurs propriétaires. Ces raisons ont sauvé cet usage, condamné depuis longtemps, car cette brûlure perd la robe des chevaux en les rendant fort laids, troue les cuirs, qui deviennent impropres à beaucoup d’usages, ne disparaissant ni à la tannerie, ni même sous le vernis ; de plus le travail de la marque est pour l’éleveur un des labeurs les plus rudes.

Au jour désigné, on se réunit entre voisins ; les troupeaux de chacun ont été visités, et les animaux égarés repris par leurs propriétaires respectifs, de telle façon que les veaux qui n’ont porté jusque-là qu’un signe à l’oreille soient bien authentiquement du troupeau que l’on va marquer. Le travail se fait le plus souvent en liberté ; les animaux sont groupés et entourés d’un cercle d’hommes à cheval armés de lassos. Dès le matin, on tue une jument et, on allume un grand feu d’os, les fers y rougissent et sont ensuite trempés dans la graisse huileuse de la jument tuée. Le jeune taureau désigné est poursuivi par le gaucho à cheval, le lasso tourbillonne et vient s’abattre autour de son cou. Le cheval d’un mouvement souple et vigoureux se raidit des quatre pieds, assujettissant ainsi le lasso sans le rompre ; le taureau, les quatre pattes liées, est aussitôt jeté à terre, maintenu sur le flanc et marqué au fer rouge au milieu des vivats. Cette lutte et ce travail durent à peine un instant, on enduit alors la blessure de graisse, et l’animal est lâché ; si le temps est pur et sec, l’air de la pampa cicatrisera cette plaie en quelques jours, et l’on choisit si bien son moment que très peu de bêtes souffrent ou meurent de cette blessure. La journée se passe ainsi, et un animal est à peine pris que le lasso est déjà envoyé de nouveau avec une telle habileté qu’il est rare que le coup ne porte pas et que l’animal se dérobe.

La marque n’est pas permise en tout temps ; dans les époques de sécheresse par exemple, comme il est habituel que les animaux quittent leurs querencias[1] pour aller chercher l’eau et la

  1. Pâturages préférés, de querer, aimer.