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créaient en peu d’années les élémens d’une fortune au milieu des dédains des riches estancieros. Que faut-il en effet pour entreprendre cet élevage ? Peu d’argent pour le commencer et peu de travail pour le mener à bien ; un enfant de huit ans suffit à garder une troupeau de 2,000 têtes et à lui donner toute l’année, sauf le moment de la tonte, les soins qu’il réclame ; à plus forte raison suffit-il à soigner les 400 ou 500 brebis du début prêtées ou achetées à crédit, permettant ainsi à la famille de se livrer à tout autre genre de travail jusqu’au jour où elle pourra vivre dans une oisiveté productive en s’occupant du troupeau ainsi augmenté.

Les Irlandais sont parmi les émigrans ceux qui se sont livrés avec le plus de profit à cette sorte d’élevage. Hommes rudes, habitués aux privations, débarquant sans ressources, ils forment dans la province de Buenos-Ayres une grande famille de 35,000 individus environ, s’aident les uns les autres, tendent la main aux nouveau-venus, et acquièrent un premier capital qui s’augmente rapidement ; tous à leur arrivée se consacrent exclusivement à l’élevage du mouton, et l’on en peut citer dont les fortunes colossales se sont faites là, et qui possèdent jusqu’à 250,000 moutons.

Le terrain propre à cet élevage doit être choisi dans les parties le plus anciennement peuplées où les graminées dures et hautes ont disparu sous le pied colonisateur des vaches et des chevaux, et ont été remplacées par des plantes courtes, touffues et tendres à la dent ; les meilleurs sont naturellement ceux couverts de trèfle, mais ce ne sont pas les seuls bons, le trèfle a même un inconvénient grave qui a empêché longtemps la laine de la Plata d’atteindre son prix sur les marchés européens, c’est le grand nombre de ses graines, sorte de petites rondelles garnies de poils durs, dont la toison se couvre avant que la tonte puisse être terminée, et qui s’attache à la laine de façon à en rendre le peignage à la machine fort difficile ; les immenses plaines du sud de la province de Buenos-Ayres, où le trèfle est rare, sont peuplées d’innombrables troupeaux de brebis dont la laine est plus recherchée que celle de l’ouest et du nord, où il couvre toute la plaine. Le sud cependant a toujours été dédaigné par les premiers estancieros, ce qui a permis aux étrangers de s’y établir en grand nombre, d’y acquérir à bas prix de vastes terrains fertiles, et d’y commencer avec peu de débours l’élevage en petit, aujourd’hui si productif.

L’estancia consacrée à l’élevage du mouton est généralement composée de terrains restreints ; cependant il y a de riches propriétaires qui occupent 5,6 et même 10 lieues. Pour Un troupeau de 2,000 têtes, 200 hectares, 250 au maximum, suffisent ; la terre se divise en conséquence, et, sur 1 lieue de pâturages passables, on