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UN POÈTE RÉPUBLICAIN SOUS NÉRON.

n’arrête pas un pareil lien. Il étend presque la solidarité de ce crime jusqu’à tous ses soldats, autant de forcenés qui se précipitent contre la patrie, « on dirait autant de beaux-pères de Pompée. » On sait ce qu’étaient alors les mariages chez les Romains, combinaisons étranges, où les motifs d’ambition et de fortune tenaient le premier rang, aussi facilement défaites que formées. Pompée, après avoir perdu Julie, perte qui d’ailleurs hâta la guerre civile, s’était déjà remarié avec Cornélie, et c’est celle-ci qui figure dans la tragédie de sa mort.

Cette tragédie est ce que Lucain a fait de mieux, et c’est bien à la victime d’une catastrophe tragique qu’il faut assimiler le Pompée de la Pharsale, si on veut le voir sous son jour le plus favorable. Alors ses faiblesses au milieu des souvenirs de sa gloire passée s’excusent mieux ; ses pressentimens mélancoliques, ses efforts incomplets, sa passivité, les affections douces qui se groupent autour de lui, préparent et relèvent encore l’impression de sa fin, qui est elle-même profondément touchante. On sait comment Lucain en a développé le drame. Ici, à dire vrai, il était très soutenu par l’histoire, si dramatique elle-même. Reconnaissons-lui du moins le mérite d’en avoir bien compris et rendu le caractère. La supériorité relative de cette partie de la Pharsale suggère assez naturellement une réflexion : ces morts tragiques, qui marquent chacune des périodes de cette terrible époque, après la mort de Pompée celle de César lui-même, puis celle de Brutus, enfin celle d’Antoine, n’étaient-elles pas du ressort du drame plutôt que de l’épopée ? Ces ardeurs et ces complications de passions nobles ou basses, ces complots, ces surprises extraordinaires du sort n’appelaient-elles pas les concentrations puissantes et les rapides effets du drame plutôt que les lenteurs de l’exposition épique ?

Quoi qu’il en soit, le Pompée de Lucain ne paraît vrai et touchant qu’au moment où il meurt. Ce ne serait pas assez pour un héros d’épopée, s’il était vrai, comme on est souvent tenté de le supposer, que le poète ait eu la pensée de lui réserver ce rôle. En tout cas, ce n’est pas assez pour l’histoire, et c’est la condamnation de cette grande épopée historique que, par impuissance ou par suite d’un parti-pris, la vérité lui échappe dans la peinture d’un des deux principaux personnages. Si du moins le portrait de l’autre était plus exact ? Il s’en faut de beaucoup ; si Pompée, dans la Pharsale, manque de vérité, que dire de César ? Ici l’insuffisance et l’inexactitude dépassent toute vraisemblance.

De toutes les grandes figures de l’antiquité, c’est peut-être celle de César qui excite le plus vivement notre intérêt. Elle attire, elle fascine, non-seulement les auteurs de pamphlets politiques et quelquefois les panégyristes intéressés du présent, comme un type d’au-