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parle Darwin, les espèces les mieux douées remplacent celles qui le sont moins. Les économistes positivistes disent aussi, conformément à l’idée de Darwin, que toute position meilleure est la conséquence d’aptitudes supérieures chez celui qui l’a conquise, Tout ce qui est est bien. Tout homme a partout le bien-être auquel il a droit, de même que tout pays a le gouvernement qu’il mérite. Tant pis pour les faibles et les simples, place aux forts et aux habiles ! La force ne prime pas le droit, mais la force est l’attribut nécessaire du droit. Voilà la loi naturelle.

Ceux qui invoquent sans cesse les lois naturelles et qui repoussent ce qu’ils appellent les organisations artificielles oublient que le régime des pays civilisés est le résultat de l’art politique et économique, et que le régime naturel est celui des tribus sauvages. Là en effet règne la loi de Darwin comme parmi les espèces animales : point de règlemens, point d’état, nulle entrave, liberté complète en tout et pour tous. C’était bien l’idéal de Rousseau, fidèle en tout à l’idée du code de la nature. La civilisation consiste au contraire dans la lutte contre la nature. A mesure que l’agriculture et l’industrie se perfectionnent, nous employons de plus en plus des moyens artificiels, inventés par la science, pour nous procurer de quoi satisfaire nos besoins. Grâce à l’art de guérir et d’entretenir la santé, nous combattons les maladies dont la nature nous afflige, et ainsi nous portons la vie moyenne de vingt à quarante ans. C’est par l’art de gouverner que les chefs de l’état font régner l’ordre et permettent aux hommes de travailler et d’améliorer leur sort, au lieu de guerroyer sans cesse comme les fauves, afin de se défendre ou de se venger. C’est à l’art de faire de bonnes lois que l’on doit la sécurité de la propriété et de la vie. C’est en luttant contre nos passions que nous parvenons à remplir nos devoirs. Tout est le résultat de l’art, parce que la civilisation est en tout l’opposé de l’état de nature. L’homme de la nature n’est pas cet être bon et raisonnable rêvé par les philosophes, c’est un animal égoïste, cherchant à assouvir ses désirs, sans souci des droits d’autrui, inconscient du mal, égorgeant qui lui fait obstacle, et ce n’est pas trop de tous les freins de la morale, de la religion et des lois pour le plier aux exigences de l’ordre social. En lui, il faut dompter la bête sauvage, sinon il met la civilisation en péril. C’était donc une dangereuse erreur de croire qu’il suffisait de désarmer l’état et d’affranchir les hommes de toute entrave pour que l’ordre s’établît.

En économie politique, je ne découvre qu’une seule loi naturelle, c’est que l’homme pour vivre doit se nourrir. Tout le reste est réglé par les mœurs, par les coutumes, par les lois, qui se modifient sans cesse et qui, à mesure que la justice et la morale