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l’économie politique officielle n’abordait pas, parce que, disait-on, elles n’entraient pas dans son cadre. Nous avons vu que Bastiat et Cherbuliez en ont bien indiqué la raison. La science rigoureuse s’occupe non pas de ce qui doit être, mais seulement de ce qui est ; elle ne peut donc ni proposer ni poursuivre un idéal. Elle décrit simplement comment la richesse se produit, se répartit et se consomme ; de là résulte la pauvreté de ses conclusions pratiques. En effet, s’il suffit de proclamer la liberté pour que tout s’arrange au mieux et que l’harmonie s’établisse, son programme est bien près d’être épuisé dans les pays qui, comme l’Angleterre, la Néerlande et la Suisse, ont admis le libre échange et la libre concurrence. Sans doute elle aura rendu un grand service en provoquant la suppression des entraves qui arrêtaient l’expansion des forces productives et une meilleure distribution du travail ; mais aujourd’hui son rôle est presque terminé. Nous arrivons aux dernières pages du livre ; bientôt il n’y aura plus qu’à le fermer et à le déposer avec reconnaissance et respect sur les rayons de nos bibliothèques. Je crois qu’en ce point les critiques des Katheder-socialisten sont fondées. En prétendant faire de l’économie politique une science exacte, rigoureuse, on a souvent trop rétréci son domaine : elle ne peut s’isoler de la politique, de la morale, du droit, de la religion. Puisqu’elle recherche comment les hommes peuvent le mieux arriver à la satisfaction de leurs besoins, elle doit nous dire quelles sont les formes de gouvernement, de propriété, de culte, les modes de répartition, les idées morales et religieuses les plus favorables à la production de la richesse. Il faut qu’elle nous indique l’idéal à atteindre et les moyens d’y arriver. Obtenir la liberté, c’est parfait ; encore faut-il savoir quel usage il convient d’en faire. Dans la société civilisée non moins que dans la forêt primitive, la liberté, si elle n’est pas limitée par les prescriptions de la morale et du droit, aboutit à l’oppression du faible et à la domination du plus fort ou du plus habile ; on le verra bientôt dans le domaine économique non moins que dans celui de l’enseignement. C’est la loi de nature et de la « sélection, » diront les darwinistes. — Fort bien ; mais, si elle m’écrase inexorablement, souffrez au moins que je ne la bénisse pas.

C’est aussi avec raison, je crois, qu’on a reproché à l’économie politique officielle d’émettre comme des vérités absolues des propositions qui, dans la réalité, sont démenties par les faits, comme si en mécanique on formulait les lois du mouvement sans tenir compte des résistances et des frottemens. Ce sont ces formules abstraites et générales qui ont inspiré aux hommes d’état pratiques comme M. Thiers une grande méfiance à l’égard des axiomes économiques. J’en citerai quelques exemples. Depuis Ricardo, c’est un dogme de