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opinions extrêmes qui se disputent en quelque sorte l’âme nationale, qui se font une arme de tout, même de l’enseignement, qui ne cherchent que la domination, fût-ce aux dépens de l’instruction de la jeunesse.

Oui, les partis en sont là, ils ne craignent pas d’abuser des intérêts les plus sacrés pour leurs ambitions implacables, et même de faire intervenir l’étranger dans leurs querelles. Est-ce qu’on ne vient pas de le voir ? — Prenez garde, disent les uns, si vous ne votez pas cette loi, la France reste livrée à l’influence de l’enseignement révolutionnaire et matérialiste. C’est la défaite irrémédiable de tous les principes conservateurs. La dernière occasion est perdue ; la démagogie triomphe par l’éducation comme dans les élections prochaines, et l’Europe n’attend que cela pour savoir ce qu’elle doit faire à l’égard de notre pays. — Réfléchissez, disent les autres, si vous votez cette loi, tout est compromis. Le prince Gortchakof l’a dit, il regarde avec curiosité si la France sera définitivement cléricalisée. Le prince de Hohenlohe ne le cache pas, M. de Bismarck n’attend que le vote pour savoir s’il peut désarmer. La loi sur l’enseignement supérieur, c’est l’abaissement définitif de la France, c’est une économie de 500,000 hommes pour l’Allemagne. — Au milieu de toutes ces passions contraires, de quel côté veut-on que se tourne le pays, s’il n’a pas la sauvegarde d’une autorité impartiale et protectrice, de l’état maintenu dans ses prérogatives, gardant son droit de direction ou de modération, défendant la société civile, la France contre tous les excès et tous les fanatismes ?

La modération n’est point aisée, nous en convenons, au milieu de ces conflits de partis qui n’écoutent que leurs passions ou leurs préjugés ; elle est d’autant plus difficile qu’elle est exposée aux assauts des radicaux de toutes les couleurs. Si à droite il y a de naïfs fanatiques qui veulent absolument cléricaliser la France malgré elle, à gauche il y a surtout les révolutionnaires à outrance, les excentriques qui veulent la démocratiser à leur manière. Qu’est-ce à dire ? Il s’est trouvé des républicains sensés, éclairés par l’expérience, qui acceptent la république telle qu’elle est aujourd’hui, qui consentent à sanctionner de leur vote les lois constitutionnelles telles qu’elles sont proposées par le gouvernement et par une commission parlementaire. N’est-ce point de leur part une vraie trahison ? M. Louis Blanc n’a pu encore en revenir, et après un discours qui n’a eu qu’un médiocre succès dans l’assemblée de Versailles, il est allé porter ses doléances dans une salle de la banlieue, au milieu d’un auditoire plus facile à convaincre.

Il y a deux choses dans ce discours. M. Louis Blanc a tenu à fêter l’anniversaire de la naissance de Garibaldi ; il a exalté surtout le héros de Caprera pour son expédition d’Aspromonte, par laquelle il se serait proposé de « délivrer » Rome. M. Louis Blanc oublie que c’étaient des Français qui alors occupaient Rome, et que, si l’Italie est libre, la France y a peut-être autant contribué que Garibaldi. C’est une étrange