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MARIANNE




À MON AMI CHARLES POMY.




PREMIÈRE PARTIE.




I.


« Quand tu passes le long des buissons, sur ce maigre cheval qui a l’air d’une chèvre sauvage, à quoi penses-tu, belle endormie ? Quand je dis belle,… tu ne l’es point, tu es trop menue, trop pâle, tu manques d’éclat, et tes yeux, qui sont grands et noirs, n’ont pas la moindre étincelle de vie. Or quand tu passes le long des buissons, sans soupçonner que quelqu’un peut être là pour te voir paraître et disparaître, — quel est le but de ta promenade et le sujet de ta rêverie ? Tes yeux regardent droit devant eux, ils ont l’air de regarder loin. Peut-être ta pensée va-t-elle aussi loin que tes yeux ; peut-être dort-elle, concentrée en toi-même. »

Tel était le monologue intérieur de Pierre André pendant que Marianne Chevreuse, après avoir descendu au pas sous les noyers, passait devant le ruisseau et s’éloignait au petit galop pour disparaître au tournant des roches.

Marianne était une demoiselle de campagne, propriétaire d’une bonne métairie, rapportant environ cinq mille francs, ce qui représentait dans le pays un capital de deux cent mille. C’était relativement un bon parti, et pourtant elle avait déjà vingt-cinq ans et n’avait point trouvé à se marier. On la disait trop difficile et portée à l’originalité, défaut plus inquiétant qu’un vice aux yeux des gens