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C’est dans ce jardin solitaire que Marianne Chevreuse lisait ou travaillait à l’aiguille quand elle n’était pas occupée à la métairie. Justement elle se promenait sous le berceau de vigne au moment où Pierre André passa sur le chemin encaissé qui devait le ramener vers sa demeure. Leurs yeux se rencontrèrent avec une surprise réciproque, et ils échangèrent un bonjour amical un peu gêné. Pierre, qui se rendait vaguement compte de son propre malaise, ne s’expliqua pas du tout celui de Marianne, et supposa qu’il y avait quelque chose de contagieux dans la gaucherie qu’il mettait à la saluer.


VIII.

Elle lui demanda des nouvelles de sa mère. — Elle va bien, répondit André ; seulement elle s’ennuie de ne pas te voir. Sais-tu que tu deviens très rare ? Il y a huit grands jours qu’on n’a entendu parler chez nous de la petite voisine.

— Vous ne vous êtes pas absenté depuis huit jours, mon parrain ?

— Nullement. J’ai fini de courir pour mon jardin et ma bâtisse. Tout est fini, et je compte à présent tenir fidèle compagnie à ma mère. Est-ce à dire que tu vas nous priver de la tienne ?

— La privation ne sera pas grande pour vous, parrain ; mais si Mme  André s’en plaint, j’irai dès qu’elle me fera appeler.

— Il faut venir, petite ! Ma pauvre maman ne marche plus aisément hors de son jardin. Elle ne peut plus guère aller te trouver. Si tu la délaisses, elle en souffrira.

— Je ne compte pas du tout la délaisser ; mais je m’imagine qu’elle aime beaucoup mieux être avec vous qu’avec moi, et que je pourrais vous gêner, si j’étais trop souvent entre vous.

— Nous gêner ! voilà une singulière idée ; n’es-tu pas de la famille ?

Et comme Marianne ne répondait pas, André prit tout à coup, sans préméditation, un grand parti, comme s’il eût voulu se débarrasser d’une secrète angoisse. — Oui, Marianne, ajouta-t-il, tu deviens singulière, et il y a en toi des choses que je ne comprends pas. Est-ce qu’on peut te parler ? As-tu le temps de m’écouter et de me répondre ?

— Oui, mon parrain, je vous écoute.

— Te parler comme cela à haute voix au travers d’une haie n’est guère commode. Puis-je entrer chez toi ?

— Mon parrain, allez jusqu’à l’échalier, je vais vous rejoindre. Marianne courut et arriva la première. Elle tira adroitement et sans se piquer le gros fagot d’épines, enjamba l’échalier et sauta