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sans presque la retenir. La docile bête s’arrêta court comme si elle eût deviné sa pensée, et la suivit au pas jusque devant le chalet, d’où, prenant à gauche, elle s’en alla seule à son gîte accoutumé, un petit coin de grange qu’elle connaissait bien et qu’elle partageait avec l’ânesse de la métairie.

Marianne avait pour tout costume d’amazone une veste-camisole de bazin blanc, un chapeau rond en paille de riz et une longue jupe rayée de bleu et de gris qu’elle relevait très vite et très gracieusement sur le côté au moyen d’une ceinture de cuir ad hoc. Elle portait ses cheveux courts et frisés, et cette coiffure de petite fille, ajoutée à sa taille fine et peu élevée, lui donnait toujours l’aspect d’une enfant de quatorze à quinze ans tout au plus. Son teint blanc mat, légèrement bistré autour des yeux et sur la nuque, n’était ni piqué ni marbré par le soleil. Ses traits étaient délicats, ses dents très belles. Il ne lui manquait pour être jolie que d’avoir songé à l’être, ou de croire qu’elle pouvait le paraître.

— Eh bien ! lui dit Mme André en l’embrassant, nous savons ce qui t’amène, ma chère petite. Te voilà décidée au mariage.

— Non, madame André, répondit Marianne, je ne suis pas décidée encore.

— Si fait ; puisque tu veux voir le prétendant, tu es décidée à l’accepter s’il te convient.

— C’est là la question. La vue n’en coûte rien, comme disent les marchands. Consentez-vous à me l’amener dimanche ?

— Certainement, ma chère petite, je n’ai rien à te refuser.

— Je vous laisse traiter en liberté ce grave sujet de préoccupation, dit Pierre André en se dirigeant vers la prairie. Les femmes ont toujours, sur ce chapitre intéressant, de petits secrets à se confier… Je serais de trop.

— Non, mon parrain, répondit Marianne. Je n’ai pas le moindre secret à confier, et je m’abstiens de toute préoccupation jusqu’au moment où votre mère et vous, vous me direz ce que je dois penser du personnage.

— Oui-da ! tu attendras notre opinion pour te décider ?

— Certainement.

— Je n’accepte pas une pareille responsabilité, reprit André sèchement ; je ne me connais pas en maris, et je crois que tu te moques de nous en feignant de ne pas t’y connaître.

— Et comment m’y connaîtrais-je ? dit Marianne en ouvrant ses grands yeux étonnés.

— Tu sais pourquoi tu as refusé ceux qu’on t’a offerts ? Donc tu sais ce que tu veux, et pourquoi tu accepteras celui-ci.

— Ou un autre ! reprit Marianne avec un demi-sourire. Ne vous en allez pas, mon parrain, j’ai quelque chose à vous demander.