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respectabilité par quelques traits qui sont demeurés comme l’aiguillon dans la piqûre. Combat-elle uniquement pour la cause de la justice et de la vérité ? Ne cache-t-elle pas derrière ce saint étendard ses passions personnelles, son orgueil de race, et l’estime qu’elle fait d’elle-même ? On peut le lui demander sans blâmer entièrement cet esprit de solidarité qui unit dans une défense commune l’individu à la nation. Toutefois il faut être juste envers tous et reconnaître que, si Greville a parfois parlé avec trop de rigueur de ce qui se passait sous ses yeux, s’il a employé des épithètes malsonnantes, s’il a jugé trop sévèrement des personnages considérables, ses détracteurs vont aussi trop loin quand ils qualifient de flèches empoisonnées les traits de sa satire et les présentent isolément au public de manière à leur donner plus de relief. Au témoignage même de l’écrivain qui a le premier ouvert le feu contre Greville, celui-ci dans le commerce de la vie n’avait rien qui justifiât les accusations portées contre lui depuis la publication de ses mémoires, « Avec les années, Greville s’était fait, par le seul empire du caractère, du tact, de l’observation et de l’expérience, une si haute réputation de jugement qu’il était devenu une sorte d’arbitre, non-seulement dans les affaires d’honneur, mais dans les différends de toute sorte qui s’élevaient soit dans la société, soit dans le monde littéraire ou politique. Quoique ses amis, à cause de ses manières habituelles, l’appelassent en plaisantant le grincheux (the gruncher), Greville avait un excellent cœur, recueillait de nombreuses sympathies et montrait un véritable empressement à obliger ou à rendre des services essentiels. »

Écrites au jour le jour dans le laisser-aller de la vie courante, les notes de Ch. Greville sont restées dix ans entre les mains de M. Reeve, à qui son ami les avait léguées, se fiant à son zèle et à sa discrétion pour les publier à un moment donné. L’heure était-elle venue ? C’est ce dont les lecteurs de la Revue pourront juger lorsque nous aurons mis sous leurs yeux ce rapide aperçu d’un ensemble assez considérable.


I

Charles Cavendish Fulke Greville, petit-fils, par sa mère, du duc de Portland, arrière-petit-fils de lord Warwick et cousin du duc de Devonshire, appartenait, par sa naissance, à la plus haute aristocratie de l’Angleterre ; mais, cadet de famille, il devait se créer par lui-même une carrière ; son nom lui donnait toutes facilités pour la choisir. Lord Bathurst le prit auprès de lui à l’âge de dix-huit ans comme secrétaire intime ; bientôt après il obtenait l’emploi de