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l’ivresse, et, quand je viens à y réfléchir, ces pensées me tourmentent au point de changer mon plaisir même en souffrance. » Les impressions de Ch. Greville sont différentes quand il tourne ses regards vers des objets plus sérieux, vers la politique surtout, qui tient dans son journal une place des plus importantes. Tory modéré, mais très entier dans ses convictions, on le voit, au milieu des agitations de la vie du monde, dans les cercles, sur le champ de courses, en tous lieux, toujours préoccupé des affaires publiques et cherchant constamment à prendre part à ce jeu secret dont il connaît toutes les combinaisons. L’intérêt réel de ses mémoires commence au moment où Greville entre en plein dans le mouvement et dans la discussion des grandes causes qui agitèrent l’Angleterre : celle de l’émancipation catholique est la première à laquelle il se mêle avec une activité fiévreuse et toute désintéressée. Cette mesure de justice faisait partie de la politique de Canning, qui en fit la condition de sa rentrée au ministère en 1827. Il fallait la forte volonté de l’homme d’état pour lutter contre les difficultés qu’il rencontrait du côté du roi et des dissidens. On sait comment il fut surpris par la mort en pleine lutte. Un ministère dirigé par lord Wellington prit sa place et, on peut le dire, sa succession, puisque, contrairement à l’espérance du roi, ce cabinet tory se vit à son tour dans l’obligation de présenter derechef le bill qui lui était si antipathique. Greville a connu la raison déterminante de ce changement de politique ; il l’a consignée dans son journal longtemps avant la récente publication de la lettre par laquelle sir Robert Peel démontrait à lord Wellington la nécessité impérieuse de cette mesure de justice dans l’intérêt de la pacification de l’Irlande.


« Je vois, dit Greville, un grand nombre de libéraux fort agacés, et non sans raison, de ce que le duc de Wellington aura l’honneur d’une mesure à laquelle ils ont, pour leur compte, si longtemps travaillé en vain. Il est curieux d’un autre côté de voir la grimace que font les tories pour avaler la pilule amère… Le duc de Cumberland a excité le roi jusqu’à la frénésie… Jamais il n’y eut d’homme plus méchant que le duc de Cumberland… Mme de Lieven a toute sa confiance ;… il lui dit tout, et fait d’elle son intermédiaire auprès du parti d’Huskisson, animé d’une haine égale pour le duc de Wellington… On ne saurait concevoir, à moins de s’y associer comme moi, les alternatives de crainte et d’espoir et les intrigues de toute nature auxquelles se livrent les partis. »


Sans entrer avec Greville dans le détail des incidens que chaque jour voit se produire, nous tâcherons, avec son aide, d’en noter les principaux traits, et de faire apparaître la physionomie de quelques-uns des personnages qui combattent dans cette immense mêlée. Ses notes, écrites parfois avec une précipitation un peu confuse, rendent