Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/520

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

humilier en public, mais qui le dominait cependant de telle sorte qu’en 1827 Greville pouvait écrire ces lignes :


« Canning, détesté par le roi à cause de son libéralisme, repoussé par l’aristocratie, peu aimé de la nation, sans appuis dans le parlement, sera premier ministre. Le roi, hésitant, irrésolu, va nommer un homme qu’il redoute et dont il abhorre les principes et les opinions, et cela sous l’influence et par les conseils de son médecin. »


Un peu plus tard, sir W. Knighton est remplacé dans la faveur de son maître par le chirurgien O’Reilly, uniquement parce que celui-ci lui apporte tous les commérages (little-tattle) des voisins. Ce sont des amis et des serviteurs de cette sorte qu’il faut au roi, dit Greville ; avec eux, il s’abandonne en toute liberté à son naturel, et de familiarité, il n’en a jamais que dans la société de ses inférieurs. Greville ajoute pourtant que, si la bonne grâce particulière à George IV ne vient pas d’un fonds de bonté véritable, elle lui sert du moins à effacer en un moment toute une série de mauvais procédés. « Il faut qu’avec lui tout le monde soit gai et à son aise, et que l’on écoute bien ses histoires. »


« Hier, dit-il, j’étais chez le duc de Wellington, à un fort grand dîner donné en l’honneur de Mmes d’Escars et du Cayla, celle-ci venue en Angleterre pour faire à notre gouvernement certaines réclamations assez mal fondées, ce que le duc lui a brusquement déclaré en se mettant à table… Il a causé avec moi très longuement au sujet du roi, du duc de Cumberland et de sa querelle avec ce dernier… Le roi, selon lui, est spirituel et amusant, mais, avec une mémoire surprenante, il est fort inexact et raconte sans cesse des histoires dont ses auditeurs savent très bien que les détails sont parfaitement faux… Il est on ne saurait plus ingénieux à détourner habilement la conversation, si le sujet lui déplaît… Je me suis fait une loi de ne jamais l’interrompre, me disait lord Wellington, et quand il tâche d’éluder ainsi une conversation qui a trait à des affaires importantes, je le laisse parler autant qu’il lui plaît, et je remets ensuite tout tranquillement l’affaire sur le tapis, de manière qu’il ne puisse m’échapper. Je le connais si bien que je sais l’amener à ce que je veux. Quelqu’un qui ne le connaîtrait pas, et qui se laisserait intimider, aurait les plus grandes difficultés à s’en tirer comme moi. Une particularité remarquable, c’est qu’il ne redoute au monde que le ridicule. Il ne reculerait pas devant des entreprises incertaines ou périlleuses ; il aimerait assez au contraire à braver le danger, mais le ridicule, il le craint par-dessus tout. Voilà pourquoi le duc de Cumberland, dont il connaît l’esprit moqueur, a pris sur lui un tel ascendant, de même que lord Anglesey. Il les hait tous deux en proportion de la peur qu’ils lui inspirent. »