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qu’il a passées à Roehampton, dans la société de Mackintosh, de Washington Irving, de Thomas Lawrence, de Luttrell, de la princesse de Lieven et de lord Melbourne ; nous entrevoyons avec plaisir les coryphées de cette réunion de gens d’esprit : ce sont avant tous les poètes Moore et Rogers. Greville fait un rapprochement curieux de ces deux favoris du public :


« Les poésies du premier, dit-il, semblent licencieuses, tandis que celles du second sont si pures qu’elles doivent leur popularité au soin scrupuleux avec lequel il en a écarté toute indélicatesse ; cependant quel contraste entre la vie et les ouvrages de ces hommes ! Moore, un modèle de régularité conjugale et domestique, Rogers le plus grand sensualiste que nous ayons jamais connu. »


Dès qu’on voit apparaître la princesse de Lieven, on est sûr qu’elle va jouer un rôle actif. Greville passe alternativement avec elle de l’attrait à l’éloignement, mais on voit qu’il est bien aise de s’instruire auprès de cette moderne Égérie des secrets de la politique et des subtilités de la diplomatie, qu’elle connaît si bien. « J’ai rencontré, dit-il, Mme de Lieven, toujours plus gracieuse, plus avide de nouvelles et plus méchante que jamais. » Cette ambassadrice de Russie, en servant d’une manière occulte les desseins de sa cour, est mêlée ostensiblement, à toutes les intrigues de celle de George IV. Elle déteste le duc de Wellington : elle se lie avec ses ennemis et use de sa faveur auprès du roi pour essayer de le combattre sans toutefois y parvenir.

Les incidens relatés par Greville n’ont souvent d’autre intérêt que celui de l’actualité, pour nous servir de ce mot moderne, mais il n’est pas indifférent de les rattacher à des faits plus importans ou de connaître les nuances de caractère de tels ou tels personnages qui ont eu leur jour, quelquefois seulement leur quart d’heure de célébrité. Les détails, même les plus fugitifs, consignés dans des mémoires véridiques, en apprennent souvent plus sur leur compte que de longs développemens ; ils entrent d’ailleurs tout naturellement dans le cadre d’un journal et animent, sans l’interrompre, le récit des faits, dont ils facilitent l’intelligence.

Au printemps de 1830, Ch. Greville traversa la France pour se rendre en Italie. Nous empruntons à ses aperçus rapides sur les salons français le récit d’une de ses soirées de Paris :


« J’ai dîné, écrit-il, chez M. de Flahault avec le prince de Talleyrand, Mme de Dino, le général Sébastiani, M. Bertin de Vaux, le duc de Broglie et Montrond. Sébastiani et Bertin de Vaux sont députés et appartiennent à l’opposition la plus éclairée. On a tout le temps parlé politique, ce qui m’a vivement intéressé. Bertin est d’apparence tout