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duc ; il a repris sa comparaison entre lui et Marlborough, et, finissant par une allusion à lui-même et à sa politique, il a terminé en disant qu’à son avènement il avait trouvé le duc au ministère, et qu’il l’y avait maintenu parce qu’il pensait que son administration avait été et serait encore heureuse pour le pays ; cette confiance absolue qu’il lui accordait, il était bien aise d’annoncer à tous ceux qu’il voyait autour de lui, à tous les ambassadeurs et ministres des puissances étrangères, à tous les hauts personnages présens, qu’il la lui conserverait aussi longtemps qu’il serait sur le trône. Le duc a remercié le roi en quelques mots. Quant à la compagnie, elle était restée stupéfaite en entendant ce discours plein de déclarations si extraordinaires. Matuscewitz m’a assuré que de sa vie il n’avait été si étonné… Falck m’a fait un délicieux récit du speech et de l’attitude de Laval ; celui-ci, ne comprenant pas un mot d’anglais, a cru tout le temps que le roi adressait des complimens à son souverain et à la nation française ; il voulait se lever pour saluer, tandis qu’Esterhazy le retenait par le pan de son habit, et que le roi, la main étendue, tâchait d’arrêter son élan. Il ajoutait que tout cela était du plus haut comique. »


Ce banquet avait lieu à Apsley-House le 26 juillet 1830, et par une étrange coïncidence c’était le lendemain que paraissaient les fatales ordonnances qui devaient renverser le trône de Charles X. Elles ne furent connues en Angleterre que le 29. Les dépêches à cette époque arrivaient lentement, et l’on ignore pourquoi l’ambassadeur d’Angleterre ne fut pas le premier à informer son gouvernement de ce qui venait de se passer à Paris. Lord Aberdeen en apprit la nouvelle inattendue par la voie du Times.


II

La chute du ministère tory devenait probable au lendemain même du jour où son pouvoir avait semblé si affermi par les paroles mêmes du roi. On s’inquiétait fort en Angleterre de l’influence que la révolution de juillet devait exercer au loin en encourageant l’esprit démocratique, qui déjà s’agitait sourdement. On voit les traces de ce malaise général dans les réflexions qui remplissent à ce moment le journal de Greville. « La grande victoire du libéralisme a tranché la question, dit-il, et ses principes, qu’on les appelle lumière ou ténèbres, sont destinés à prévaloir à jamais dans le monde. » Ailleurs il ajoute encore : « Nos élections se prononcent contre le ministère et le vent souffle du côté de la réforme, des économies et de l’abolition de l’esclavage. Une vive opposition se prépare, que doivent diriger lord Grey dans la chambre des lords et Brougham dans celle des communes. » Huskisson et son parti