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aucune manière, et s’arrangera toujours pour se réserver l’occasion d’agir comme bon lui semblera. Lyndhurst n’a pas plus de goût que moi pour ses manières si froides, si peu conciliantes, si bien faites pour repousser tout le monde. »


Quant à l’état de l’Angleterre à la fin de cette mémorable année 1830, on voit que tous les gens raisonnables sont inquiets de la situation intérieure et vivement préoccupés de ce qui se passe au dehors. Chaque jour amène en effet de nouvelles complications.


« Je ne me souviens pas, écrit Greville, d’avoir jamais rien vu, ni d’avoir jamais rien lu qui approche de l’état où nous sommes. La crainte et l’impatience prévalent de toutes parts, l’anxiété est à son comble. N’importe où nous jetions nos regards, du côté de la France ou du côté de l’Irlande, qu’ils s’égarent jusqu’en Pologne ou en Piémont, ils n’aperçoivent en tous lieux que feux et flammes, émeutes et exécutions. »


On pouvait dès lors prévoir qu’une mesure aussi importante que celle de la réforme allait soulever les passions de tous les partis, ce qui ne manqua pas d’arriver dès la première lecture du bill, le 2 mars 1831, à la chambre des communes. Lord John Russell avait été chargé par le gouvernement de soutenir le bill, dont il avait rédigé les dix articles. Greville semble redouter avec ses amis conservateurs les conséquences de la mesure, qui risque de ne satisfaire personne. « Le peuple, qui l’a tant souhaitée, et dont l’imagination s’est si sensiblement montée à ce sujet, ouvrira de grands yeux quand il s’apercevra qu’il n’en retire aucun avantage, et lorsque la chambre des communes, formée selon son cœur, lui apparaîtra comme fort inférieure à tous égards aux précédentes… Une foule d’agitateurs ne manqueront pas de lui prêcher que cela vient de ce qu’on n’en a pas assez fait. Cependant, ajoute Greville, je crois que le bill pourra passer à la seconde lecture, et c’est la meilleure chose qui puisse nous arriver, car il vaut encore mieux capituler que d’être emporté par la violence du choc. » Le bill cependant à la seconde lecture ne passa qu’à la majorité d’une seule voix, et le gouvernement, en face des difficultés que devait rencontrer la troisième lecture, prit soudainement la résolution de dissoudre la chambre.


III

Il y a, dans le récit quotidien fait par Greville des débats parlementaires et dans l’impression qui ressort de ces notes écrites durant la chaleur de l’action, une sorte d’intérêt qui disparaît, si l’on se contente d’en donner seulement la substance. Témoin oculaire des incidens de chaque jour, ou recevant de première main les