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conversation,… son savoir immense n’est pas animé de la flamme subtile qui pourrait seule lui communiquer la clarté et la souplesse… Il n’aura jamais le don de plaire et de captiver. » Brougham avait dirigé l’éducation de Macaulay, « mais il lui était arrivé comme à un homme qui, ayant élevé un jeune lion, finit par en être dévoré. » Ils se détestaient mutuellement. Greville rencontre souvent Macaulay et en reçoit toujours la même impression.


« Dimanche dernier, dit-il encore, j’ai dîné avec Rogers, Moore, Sidney Smith et Macaulay. Sidney était moins en train que de coutume, quelque peu opprimé et réduit au silence par ce que Moore appelle le flumen sermonis de Macaulay. Sidney dit de lui que c’est un livre en pantalons… Il étonne, il instruit, il intéresse, mais il n’amuse pas toujours… Je crois que nous aurions tous été charmés d’échanger ses graves enseignemens contre les amusantes plaisanteries de Sidney Smith : Macaulay m’a dit avoir lu Grandisson quinze fois ! »


Quand le journal de Greville revient à la politique après un temps d’arrêt assez prolongé, c’est pour la représenter plus animée, plus divisée, plus embrouillée que jamais. La majorité qu’il s’agit de conquérir pour le bill de la réforme restait douteuse à la chambre des lords. La chambre des communes avait conquis au contraire, par sa réélection, un assez grand nombre de voix réformistes. Lord Grey ne vit pas d’autre moyen, pour emporter la mesure, que de créer une soixantaine de pairs, expédient qui parut au roi trop extrême, et sur son refus le ministère offrit sa démission. Le fait le plus saillant au milieu de ce conflit semble être la conduite ambiguë de sir Robert Peel. Il refuse constamment de faire partie d’un ministère tory, apparemment pour ne pas être obligé de présenter une mesure qu’il a jadis combattue ; c’était la même situation dans laquelle il s’était déjà trouvé au sujet de l’émancipation des catholiques. Greville examine le caractère de l’homme d’état sur qui les regards sont fixés et complète ainsi son premier jugement.


« Il a naguère jeté par-dessus bord les ultra-tories pour se rendre agréable à la chambre et au pays. Maintenant il songe à ouvrir la porte à tout venant, et à se donner pour un personnage nécessaire, voire indispensable. Sous son extérieur tranquille, il nourrit, je crois, une ambition démesurée. Il dissimule ses sentimens de haine et de jalousie sous les semblans d’estime et d’attachement qu’il affecte pour ses collègues. C’est un de ces caractères contradictoires, renfermant en soi tant de bien et tant de mal qu’il est difficile de savoir de quel côté penche la balance. Les actes de sa vie politique sont de pareille nature. L’utilité et surtout la valeur en sont très contestables,