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méconnaître : pendant cette longue période, les espèces animales n’ont pas subi la plus légère modification. Poussant plus loin dans le passé, car la succession des bancs se prolonge sur un espace de 2 degrés en latitude, le naturaliste doit estimer à trois ou quatre cent mille ans la durée nécessaire pour faire émerger de l’océan la partie de la Floride située au sud du lac Ogeechobee. Il constate encore que durant cette immense période aucun changement ne s’est produit dans les caractères des animaux du golfe du Mexique. Il ne se préoccupe pas des idées de transformations indéfinies que bientôt on s’efforcera de rajeunir, mais déjà il insiste sur des faits qui en prouvent l’inanité. Venu dans la Floride pour des recherches spéciales, Agassiz, sollicité d’ouvrir un cours d’anatomie comparée au collège médical de Charleston, accepta cette tâche. Il ne devait pas cependant toujours résister aux fatigues d’un enseignement très actif et d’explorations fort pénibles ; la fièvre le saisit, il retourna dans le Massachusetts.

Placé dans une situation en évidence, le savant ne s’appartient plus ; croyant ne pouvoir refuser son concours, ses lumières, sa peine, quand on le sollicite en vue d’un intérêt quelconque, il se voit avec douleur mis dans l’impossibilité de poursuivre de grands travaux. On réclame de sa part des renseignemens, des appréciations, des éclaircissemens à l’égard d’une foule de questions ; il jette au vent des notices et des rapports sans nombre sur des sujets qui le touchent médiocrement. Il gémit en secret sur le temps dérobé à des œuvres plus importantes, il veille pour en finir d’un ennui qui sous une autre forme se renouvellera le lendemain, il travaille sans trêve ni repos, espérant toujours se débarrasser d’une besogne insipide et revenir à ses études ; mais alors d’excellens confrères, de bons amis, murmurent avec compassion : Maintenant il ne fait plus rien. En Amérique, Agassiz n’avait pas été moins que les savans d’Europe écrasé par l’obligation de satisfaire à mille exigences ; lui, l’homme qui ne songe jamais à se reposer, sait qu’on répète : Maintenant il ne fait plus rien. Il montrera qu’il est encore capable de produire une belle œuvre ; il a réuni de nombreuses observations sur divers sujets, étudié la vie d’animaux que les naturalistes européens n’ont pas l’occasion d’observer, accumulé enfin des matériaux considérables. Des recherches relatives à la distribution géographique et au développement des tortues, d’autres recherches sur les charmans zoophytes qu’on nomme les acalèphes peuvent être mises au jour. Le moment paraît arrivé d’entreprendre une publication sur l’histoire naturelle des États-Unis. La publication, qui comporte une série de volumes et des centaines de planches, devant être faite avec luxe, deviendra coûteuse ; en Amérique, c’est la moindre difficulté. On annonce l’entreprise, aussitôt 2,500