Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/561

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le plus par l’organisation, les espèces marines sur les espèces d’eau douce. En vérité, il reste probablement à découvrir de curieuses coïncidences qu’on n’a point encore soupçonnées[1].

Avec l’accent de l’homme inspiré par une ardente conviction, Agassiz déclare hautement que la science fit un grand pas le jour où l’on eut l’assurance que les espèces ont des caractères fixes, et ne changent point dans le cours des temps. Rendant hommage à George Cuvier pour en avoir fourni la démonstration, il ajoute : « Le fait acquiert une importance plus grande encore depuis qu’il et établi que les changemens, même les plus extraordinaires, dans le mode d’existence d’un animal et dans les conditions où il est placé n’ont pas plus d’influence sur ses caractères essentiels que le cours du temps. » Passant à l’idée que les espèces des périodes géologiques dérivent les unes des autres, il la signale comme « une pure supposition, ne reposant ni sur le témoignage de la physiologie, ni sur celui de la géologie. » Après avoir évoqué le souvenir des dépouilles ensevelies par les habitans de l’antique Égypte, d’où Cuvier a tiré la preuve que pendant l’espace de cinq mille ans rien ne s’est modifié dans les particularités des espèces, saisi de l’exemple des coquilles et des coraux de la Floride abandonnés par la mer depuis des centaines de milliers d’années, il affirme avec une confiance absolue que nul indice ne porte à croire au moindre changement dans la conformation des êtres à travers les siècles. Assuré qu’aux différens âges de la terre la variété des plantes et des animaux a été aussi considérable que dans la période actuelle, le philosophe de la nature, qui voit partout l’œuvre du Créateur, rappelle qu’ainsi « a été amenée la conviction, aujourd’hui universelle parmi les naturalistes dignes de ce nom, que la terre existe depuis un nombre incalculable de siècles, et que le laps de temps écoulé depuis l’apparition de la vie à sa surface ne peut pas être évalué ’en années. »

Sachant estimer les travaux de recherche d’après l’importance des résultats obtenus comme d’après les qualités et les talens qui ont été nécessaires pour les produire, Agassiz témoigne d’une raison supérieure et d’un admirable esprit scientifique lorsqu’il regrette les dédains de quelques investigateurs pour des observations qui semblent plus que d’autres à la portée du grand nombre. De nos jours, les plus habiles naturalistes se sont voués à l’étude profonde

  1. On a remarqué depuis longtemps que dans les familles naturelles les caractères typiques, très prononcés chez les plus grandes espèces, s’amoindrissent chez les petites. D’autre part ou s’est assuré que dans certaines familles les petites espèces n’atteignent pas le même degré de perfection organique que les grandes. Voyez à ce sujet nos études sur les oiseaux de la famille des psittacides, Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 1856-1857.