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chef de l’expédition expose à ses futurs collaborateurs l’état des connaissances sur l’histoire naturelle du Brésil et le plan des recherches qu’il se propose de poursuivre. Les hautes visées du maître, les détails précis du savant plein d’érudition, l’esprit du narrateur, donnent à ces entretiens un charme inexprimable. Agassiz attache le plus grand prix à la notion exacte de la distribution des poissons dans les eaux douces. Certaines espèces très caractéristiques se trouvent dans le bassin du Danube et n’existent ni dans le bassin du Rhin ni dans celui du Rhône ; quelques-unes vivent dans le Rhin ou dans le Rhône et ne se rencontrent pas dans le Danube ; plusieurs poissons enfin habitent exclusivement soit le cours supérieur, soit le cours inférieur des grands fleuves. Il prévoit ainsi qu’il observera des espèces particulières dans chacune des régions de l’Amazone et dans chaque rivière du Brésil. Avec sa clairvoyance ordinaire, il juge indispensable de déterminer strictement les limites des espèces, si l’on songe à remonter aux origines. Tour à tour le professeur de Cambridge signale comme devant fixer l’attention des explorateurs les phases embryonnaires des alligators et des mammifères de l’Amérique du Sud, les traces d’anciens glaciers, le soin des récoltes de plantes et d’animaux. Une pensée surtout préoccupe le naturaliste. « On me demande souvent, dit-il, quel est mon but principal en entreprenant cette expédition dans l’Amérique du Sud. Sans doute c’est d’une manière générale de faire des collections pour les études à venir ; mais la conviction qui m’entraîne d’une manière irrésistible est que la combinaison des espèces sur ce continent, où les faunes sont si caractéristiques et si différentes de celles des autres parties du monde, me fournira les moyens de prouver que la théorie des transformations ne repose sur aucun fait. »

Après vingt-trois jours de navigation, sans ennui on débarquait à Rio-Janeiro ; dans sa sollicitude pour les savans, l’empereur du Brésil avait donné l’ordre d’exempter de la visite douanière l’énorme bagage de l’expédition. Aux premiers jours, la curiosité seule est en éveil : on regarde avec étonnement la physionomie de la population ou le caractère des habitations ; on contemple avec bonheur les scènes de la nature. Pour des gens qui ne connaissent que les climats du nord, les groupes de palmiers, les lianes qui étreignent les grands arbres, sont des merveilles. Les magnifiques forêts de l’Amérique tropicale, si touffues, si entremêlées de gigantesques plantes parasites qu’elles forment des masses compactes de verdure, ne ressemblent pas aux forêts des zones tempérées, où les rayons du soleil s’infiltrent à travers le rideau de feuillage. Trois mois s’écoulèrent en promenades aux environs de Rio-Janeiro ; ces courses