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l’Amazone, plus de 1, 800 espèces de poissons avaient été réunies. « Nulle part au monde, dit l’illustre naturaliste, il n’existe une aussi grande variété de poissons que dans ce bassin. Quant à la localisation, elle est très remarquable ; à l’exception d’un très petit nombre d’espèces qui ont une distribution plus ou moins étendue, on rencontre de distance en distance des assemblages d’espèces entièrement distinctes, et les limites de ces faunes ichthyologiques locales paraissent tant varier qu’il faudra encore des années d’explorations pour les déterminer avec précision. C’est ainsi que dans les régions boisées où les forêts sont très compactes et les cours d’eau très étroits, on rencontre des faunes distinctes à la distance de quelques lieues, tandis que dans les régions plus ouvertes, et où les eaux s’étalent au loin, il faut quelquefois parcourir des distances de 20 ou 50 lieues et même davantage avant de trouver de nouvelles combinaisons d’espèces. » Toutes les prévisions étaient dépassées. Aux yeux de quelques zoologistes, cette abondance d’espèces a semblé prodigieuse : on a supposé que, selon la nature des eaux, les mêmes poissons pouvaient revêtir des apparences différentes ; mais on ne saurait oublier que les observations ont été faites par un savant des plus exercés et des plus consciencieux. Dans quelques parties de l’Amérique du Sud, Agassiz constata sur une vaste étendue le terrain erratique ; il pense donc avoir découvert a une nouvelle phase de la période glaciaire qui expliquera des phénomènes jusqu’à présent obscurs de l’histoire physique la plus récente de notre globe[1]. »


IV

Revenu à Cambridge, le bouillant explorateur dut donner des soins aux immenses collections rapportées de l’Amérique du Sud, s’occuper d’un classement qui réclamait des années de travail ; toutes les heures furent dérobées à l’investigation. Il avait formé le projet de publier un grand ouvrage sur l’histoire naturelle du Brésil, — grande ambition même pour un auteur sachant pouvoir compter sur l’assistance très active d’un certain nombre de collaborateurs ; il n’eut pas la joie de pouvoir réaliser un commencement d’exécution. Tandis que le célèbre naturaliste s’épuisait en efforts pour classer et déterminer les objets accumulés au musée du collège Harvard, des opérations scientifiques d’un caractère tout nouveau avaient été entreprises. On s’était avisé de draguer la mer

  1. M. Ch. Fred. Hartt, géologue attaché à l’expédition dirigée par Agassiz, a publié un ouvrage considérable sur la géologie et la géographie physique du Brésil. L’ouvrage est intitulé Scientific Résults of a Journey in Brazil by Louis Agassiz and his travelling Companions. — Geology and Physical Geography of Brazil. Boston 1870.