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ce qu’il possède de science à la prolongation de l’existence humaine. Grand, légèrement voûté, il a une physionomie à la fois sympathique et vénérable. Ce fut lui qui me fit les honneurs de l’établissement : le Mont-Liban est merveilleusement situé à deux milles et demi des sources du même nom parmi les collines du Berkshire. La vue y est étendue, variée, l’air pur et fortifiant, l’eau abondante. Jamais société ascétique ne choisit pour asile ici-bas un lieu plus paisible et plus charmant. Le premier bâtiment qui frappe vos yeux en arrivant est l’immense grange, l’une des plus parfaites qui existent pour l’aménagement intérieur ; ensuite on aperçoit la boutique des sœurs, consacrée aux industries féminines, et, sur le même niveau, la maison de la famille du nord, haute de cinq étages comme la grange. Derrière ces constructions, qui ouvrent toutes directement sur la route, il y a un corps de logis séparé pour les visiteurs, qui pendant leur séjour sont priés de se conformer aux règlemens essentiels de l’ordre ; c’est là aussi que résident les aspirans au titre de trembleurs pendant l’épreuve préalable à leur réception, puis viennent un énorme bûcher, des remises, la boutique des frères, la buanderie, la scierie, le moulin et le grenier, auquel est joint le logement des travailleurs étrangers, ceux-ci à gages.

Un quart de mille plus loin habite une autre famille, autour de l’église, dont elle porte le nom, et que l’on reconnaît à son toit, semblable au couvercle d’une chaudière. Les familles se succèdent ainsi, chacune ayant ses intérêts séparés et formant une commune distincte avec ses industries particulières et son organisation spéciale. Toutes les constructions sont vastes et commodes sans aucune prétention à la beauté, faîtes en bois à Mount-Lebanon, en pierre ou en brique dans d’autres établissemens.

J’assistai aux funérailles d’une femme qui venait de mourir. Frères et sœurs entrèrent rapidement dans la salle d’assemblée et se placèrent par rangs, les sœurs d’un côté, les frères de l’autre, tous debout. Un bref discours de l’ancien Frédéric ouvrit le service, puis on chanta, quelques-uns des assistans parlèrent à leur tour, on pria l’âme envolée de se communiquer, et un médium prononça quelques mots apparemment venus d’elle, puis des vers en mémoire de l’absente furent lus par une des sœurs, après quoi l’on se sépara. Le corps fut placé dans la galerie, où chacun put aller le contempler une dernière fois. L’ancien Frédéric m’expliqua par la suite que les shakers existaient par milliers dans le monde spirituel. — Je sus en revanche que les sociétés terrestres de shakers n’avaient pas augmenté depuis quelques années ; la guerre leur a enlevé bon nombre de membres, beaucoup de jeunes gens étant emportés malgré tout par l’esprit belliqueux, et les nombreuses adoptions d’enfans n’ayant pas porté les fruits qu’on en attendait. Soit curiosité, soit amour du gain