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de cinq ; quelques-uns seulement s’abstiennent de la chair du porc. Le vin et le cidre leur sont permis en quantité modérée ; ils poussent au plus haut degré l’amour des fleurs et celui de la musique, il n’y a presque aucun frère qui ne sache jouer de quelque instrument ; la danse est défendue. Les habitans d’Économie reçoivent les journaux et ont une bibliothèque, mais ils lisent surtout la Bible. Chacun de leurs enfans adoptifs, son éducation faite, apprend un métier. On donne à celui-ci ou celui-là des vêtemens à mesure qu’il en a besoin. Le tailleur surveille l’état des habits, le cordonnier celui des chaussures, etc., en ayant soin que les frères soient toujours convenablement équipés.

Les harmonistes se croient le peuple élu de Dieu. Ils conservent une vénération profonde pour le père Rapp : « Devant lui, disent-ils, le mal ne pouvait subsister.

— Existe-t-il un monument à sa mémoire ? demanda M. Nordhoff.

— Oui, tout ce que vous voyez là autour de nous. « En effet, son souvenir est partout, bien que sa tombe soit semblable aux autres et qu’il ne reste pas même un portrait de lui. On le décrit comme un homme bien bâti, — il avait près de 6 pieds, — actif, d’une gaîté affable, causant volontiers, sans enthousiasme, un peu sec, très pratique, trouvant toujours le mot juste et souvent piquant pour chaque chose ; il passait sa vie soit aux champs, soit dans les fabriques, à encourager et à enseigner. Il avait appris la botanique, la géologie, l’astronomie, la mécanique ; mais le travail de la terre lui paraissait le meilleur remède aux maladies de l’âme et du corps : aussi l’agriculture est restée en honneur parmi les harmonistes, Très éloquent, il prêchait deux fois tous les dimanches et ne se reposa que les deux dimanches qui précédèrent sa mort ; encore lui arriva-t-il d’exhorter le peuple par la fenêtre de sa chambre. Les cérémonies et les distinctions lui étaient odieuses ; il s’asseyait pour prêcher, ne prescrivit jamais de costume particulier, et ne voulait dans les pratiques extérieures rien qui protestât contre le monde. Son influence était sans bornes : il visitait les malades, ensevelis sait les morts, s’imposait toutes les fatigues et tous les sacrifices sans faste, simplement. Le résultat de ses leçons, c’est que les économites, comme on les nomme communément, sont fort considérés pour leur probité, leur bienfaisance et leurs sentimens patriotiques. Il n’y a pas de meilleurs citoyens, bien qu’ils ne votent jamais. Pécuniairement, leur entreprise a été couronnée du plus éclatant succès ; le dédain des richesses les a aidés à en acquérir de très grandes en les empêchant de se jeter dans des entreprises nouvelles et périlleuses. Ils ne se préoccupent point de ce qu’elles de viendront quand le dernier des vieillards qui composent la société se sera éteint. « Dieu nous conseillera, » répondent-ils aux questions