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part en part. Les chemins de fer d’intérêt local constituent un réseau placé dans des conditions toutes spéciales. La loi du 12 juillet 1865 sur ces chemins de fer fut inspirée par une pensée politique : en accordant aux départemens une sorte de réseau vicinal de voies ferrées, on voulait à la fois contenter le corps électoral et créer au profit des favoris de l’administration un moyen d’influence nouveau. La loi autorisait l’exécution des chemins d’intérêt local soit par les départemens et les communes, avec ou sans le concours des propriétaires intéressés, soit par des concessionnaires, avec le concours des départemens et des communes. L’état pouvait favoriser ces entreprises en prenant à son compte une partie des dépenses. Personne ne fit apercevoir les dangers d’une loi qui créait un réseau nouveau à côté de l’ancien : elle se présentait avec les allures les plus modestes ; l’exposé des motifs indiquait que les travaux ainsi concédés seraient exclusivement destinés à relier les localités secondaires aux localités principales. La longueur des chemins de fer devait être en principe limitée à 30 ou 40 kilomètres ; ils ne devaient avoir qu’un petit trafic local, qui pourrait s’effectuer avec trois trains de jour sans service de nuit. On se promettait de les construire avec la plus grande économie.

Le danger fut aggravé par les dispositions de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes, qui purent se constituer avec sept personnes. « Celles-ci, disait récemment M. Caillaux à l’assemblée nationale, se partagent le capital-actions et le syndiquent, pour employer l’expression en usage, ce qui veut dire que les actions restent à la souche et qu’elles n’entrent point en circulation. Ces sept personnes administrent la société, et représentent en même temps à elles seules l’assemblée générale des actionnaires ; elles s’autorisent à accepter des marchés dont elles ont fixé les conditions… Le public prend des obligations qu’il croit garanties par des actions, et non-seulement la garantie n’existe pas ou n’est pas entière, ou n’est pas telle qu’on l’annonce, mais encore l’argent versé peut servir aux spéculations les plus hasardeuses et les moins autorisées. »

Il y a deux phases dans le développement d’un chemin de fer, la construction et l’exploitation. En réalité, un grand nombre des sociétés qui ont demandé des concessions aux chemins de fer, ou qui les ont achetées, n’ont été que des sociétés de construction. L’organisation des sociétés, telles qu’on vient de les décrire, leur permet de faire sur la construction des bénéfices certains, l’exploitation n’est pas leur souci ; le chemin terminé, elles se trouvent souvent avoir les actions pour rien, et il leur importe assez peu que celles-ci perdent une partie de leur valeur nominale. Les victimes de ce système vicieux sont les obligataires ; la grande faveur qui s’attache