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REVUE MUSICALE.


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Nous voici donc en possession d’un troisième théâtre lyrique. La subvention de 100,000 francs est maintenue, le directeur nommé, il ne s’agit plus désormais que de s’entendre sur ce qu’on y jouera, car ce qu’on n’y jouera pas, nous le savons presque d’avance. Ainsi les traductions seraient, paraît-il, exclues du répertoire ; ce puissant fonds de réserve, où l’ancienne scène du Châtelet puisa jadis de si beaux élémens de fortune, serait interdit à l’administration actuelle, qui, laissant à l’Opéra Don Juan et le Freischütz, à l’Opéra-Comique les Noces de Figaro, devrait strictement s’en tenir à ne représenter que les ouvrages de nos jeunes compositeurs, programme en vérité bien dangereux pour un théâtre auquel M. Gounod a déjà retiré ses œuvres, et qui partant se trouverait sans ressources au premier échec. L’expérience de l’opéra populaire ne nous a que trop démontré l’an passé comment tournent les parties qu’on engage en dehors de toute prévision rationnelle. Que de temps souvent s’écoule avant qu’un grand succès se déclare ! En attendant il faut vivre, et c’est avec le répertoire que la maison peu à peu s’achalande. Le répertoire de l’ancien Théâtre-Lyrique, c’était Faust et Roméo et Juliette, Oberon, le Freischütz et les Noces de Figaro, Faust appartient aujourd’hui à l’Opéra, Roméo et Juliette à l’Opéra-Comique, et si les traductions manquent aussi, que devenir ? Cet établissement d’une troisième scène lyrique est, nous dit-on, surtout fait pour les jeunes. Jouer les jeunes, à merveille, mais n’y a-t-il que ce moyen de leur rendre service et n’est-ce rien que de former en même temps leur goût et de leur mettre devant les yeux les grands modèles ? Pour nous, loin d’enlever au Théâtre-Lyrique ce privilège, nous aimerions mieux l’ôter à l’Opéra et à l’Opéra-Comique, assez riches de leur propre bien ; d’ailleurs l’intérêt même de ces jeunes compositeurs exige que leurs ouvrages soient vaillamment exécutés ; or quelle meilleure école que les chefs-d’œuvre pour dresser des chanteurs et leur communiquer cette force de conviction de plus en plus rare par le train d’opérette où nous sommes ? M. Arsène Houssaye entre au jeu avec la subvention ordinaire, plus 95,000 francs restant sur l’ancien exercice, mais tout est à créer, personnel et matériel ; comment engager une troupe, préparer en si peu de temps la campagne d’hiver ? Tout au plus pourrait-on songer à de simples exhibitions ; le moment en effet s’y prêterait assez. Entre la saison de Londres et celle de Saint-Pétersbourg, peut-être la Nilsson et la Patti consentiraient-elles à donner quelques représentations ; mais ce ne serait toujours là qu’une aventure sans rapport avec les véritables