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du genre chromatique ; enfin n’oublions pas que les plus grands poètes lyriques, Alcman, Stésichore, Simonide, exerçaient une fonction publique d’un caractère essentiellement musical et très honorée dans l’antiquité : celle de maître de chœurs.

C’est seulement à dater de la bataille de Chéronée, fin de l’indépendance grecque, que M. Gevaert constate la séparation de la poésie et de la musique, on commence à écrire des vers pour la lecture privée, la production musicale si abondante naguère semble s’arrêter complètement. De loin en loin, les écrivains nous parlent encore de quelque virtuose habile, chanteur ou instrumentiste ; mais l’histoire ne nous apporte plus le nom d’aucun compositeur grec après Timothée. Non toutefois que l’exercice de la musique fût négligé ; au contraire, Alexandrie, désormais siège intellectuel de cet empire cosmopolite, avait une population passionnée pour les arts et les cultivant elle-même avec ardeur. L’orgue, si grandement en faveur aux temps de l’empire romain, est une invention du mécanicien Ctésibius. « Mais, remarque judicieusement le savant directeur du conservatoire de Bruxelles, cette culture post-classique a déjà tous les caractères qui apparaissent aux basses époques : le goût de l’extraordinaire, du colossal, le développement outré des genres les plus vulgaires, une tendance générale vers l’obscénité. L’exercice de la profession de musicien, autrefois l’apanage des prêtres, des sages, des meilleurs de la nation, est tombé aux mains d’histrions, de courtisanes ; le chant et la danse ne sont plus que les raffinemens de la débauche d’une société corrompue. » Je ne sais, mais voilà un tableau qui me paraît nous ressembler beaucoup ; cet art tombé aux mains des histrions et des courtisanes, cette obscénité musicante et dansante, m’est avis que nous connaissons tout cela de fort près. L’antiquité se résigne alors à vivre sur ses anciens chefs-d’œuvre, on le voit, toujours un peu comme chez nous ! Après la floraison de l’art vient l’époque de la critique, de la théorie, des recherches historiques et scientifiques, qui se personnifie principalement dans Aristoxène de Tarente, partisan exclusif de la tradition. Ce célèbre musicien philosophe serait ainsi ce que nous appelons aujourd’hui un critique d’art. Les dilettanti de la Rome impériale, eux aussi, préféraient les compositions des anciens maîtres grecs à celles des contemporains. Denys d’Halicarnasse nous apprend que la partie musicale de l’Oreste d’Euripide était encore connue de son temps, les nomes et les tragédies que Néron chantait en public à Rome et à Naples étaient des compositions grecques du temps de Timothée. Ptolémée nous montre sous Marc-Aurèle une technique très raffinée. La virtuosité, l’érudition, marquent la période relativement brillante encore qui s’étend de Domitien à Septime-Sévère. À défaut de poètes et de compositeurs dignes de ce nom, des artistes de talent parcourent le monde romain, interprétant les chefs-d’œuvre des siècles passés ; on recueille, on classe, on