Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/767

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre l’usurpation du mandat ! — Toutes ces choses monstrueuses, l’Europe les regardait et les laissait faire, cette même Europe qui en 1848, lors de la première agression allemande contre le royaume Scandinave, n’avait pas manqué à son devoir et avait su noblement le remplir malgré la grande tourmente révolutionnaire qui eût pu lui servir d’excuse. Les puissances furent unanimes alors pour défendre le faible contre l’oppresseur ; l’empereur Nicolas se trouva d’accord sur ce point avec la république du général Cavaignac, et il n’est pas jusqu’aux diplomates improvisés par la « surprise » de février qui n’eussent montré à ce moment une intelligence suffisante des conditions de l’équilibre du monde. Il a été réservé à des hommes d’état des plus expérimentés, à des chanceliers vieillis dans la tradition et le respect des traités, à des représentans des monarchies régulières et fortes, de laisser consommer une œuvre révolutionnaire que les Bastide et les Petetin avaient cru de leur devoir de ne point admettre[1] ! Sans doute c’est surtout l’Angleterre qui portera devant la postérité la honte de la ruine du Danemark, car c’est elle qui avait pris en main la cause du royaume Scandinave, qui l’avait conseillé, guidé, morigéné jusqu’au dernier jour, et qui avait solennellement déclaré qu’au moment du danger il ne combattrait pas seul ; il serait toutefois injuste d’en prétendre exonérer complètement le reste des puissances européennes. Aussi plus d’un esprit réfléchi et honnête assignait-il dès lors à ce démembrement d’une monarchie en plein XIXe siècle toute la portée qu’avait eue un autre démembrement au siècle précédent, et en prévoyait-il avec anxiété de grands bouleversemens et des catastrophes formidables dans l’avenir. Les naïfs, ou, pour parler avec M. de Bismarck, les profanes, pouvaient seuls croire la partie finie après ce premier coup porté au droit des nations, après ce premier exploit aussi de « l’instrument » merveilleux que le gouvernement prussien avait mis tant d’années et de soins à « perfectionner. »

Le canon de Missunde fut pour le chevalier de la Marche ce que le canon de Toulon avait été autrefois pour certain officier de la Corse, et cette courte campagne des duchés révéla bien des choses au futur vainqueur de l’Europe. Il y apprit que les droits légitimes, les traités consacrés, les minutes stipulées, la foi jurée et maintes autres vieilleries réputées inattaquables étaient bien plus débiles et caduques encore que les pauvres forteresses élevées par

  1. « En 1848, le Danemark avait demandé la protection de la France ; M. Bastide, alors ministre des affaires étrangères sous la république, prit chaudement (warmly) la cause, et il fut même question d’envoyer 10,000 hommes pour assister les Danois dans la défense de leur pays… » Dépêche de lord Cowley du 13 février 1864. — Voyez aussi les curieuses dépêches de M. Petetin, alors envoyé de la république en Hanovre.