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Danemark à admettre l’occupation du Slesvig par des forces de l’Autriche et de la Prusse à titre de garantie donnée à ces deux puissances par rapport à la population allemande du duché… » Ainsi continuent de nous instruire et de nous édifier les state papers et les documens communiqués au Rigsraad : on n’y trouve pas une seule insinuation ou « suggestion » partie des bords de la Sprée contre le Danemark qui ne soit aussitôt répercutée sur les bords de la Neva. Et pourtant le Danemark a été de tout temps l’ami et le protégé de l’empire des tsars ! Plus que toute autre puissance au monde, la Russie avait intérêt à préserver la liberté de la Baltique, à ne pas laisser tomber le port de Kiel aux mains de la Germanie ; plus que toute autre puissance aussi elle était tenue de faire cette réflexion que la Courlande et la Livonie parlaient un allemand bien autrement pur et harmonieux que le Slesvig ! Enfin c’était bien la cause de la révolution contre celle de la souveraineté légitime qui se trouvait engagée dans ce débat sur l’Eider : le vieux Nesselrode l’avait déclaré dans une circulaire célèbre, et qu’eût dit l’empereur Nicolas de pareilles complaisances pour la révolution de la part d’un chancelier russe ? .. Alexandre Mikhaïlovitch fera encore l’étonnement de l’histoire par l’immensité de sa gratitude envers M. de Bismarck.


II

Ainsi fut inaugurée au sujet des questions de Pologne et de Danemark cette action commune des deux ministres de Russie et de Prusse, qui devait persister pendant tant d’années encore et avoir une influence si considérable, si désastreuse, sur les affaires du continent. Avec cette année 1863 commence la seconde période du ministère du prince Gortchakof, sa seconde manière, assurément beaucoup plus discutable. A la « cordialité » française, convenablement dosée et en somme tonique, qui avait prévalu jusque-là, va succéder l’amitié prussienne, trop passionnée, trop absorbante sans contredit. Dans cette seconde période en effet, Alexandre Mikhaïlovitch ne gardera plus cet esprit calme et réservé et cet égoïsme intelligent qui ont fait sa fortune lors de ses intimités avec l’empereur Napoléon III ; il embrassera toutes les opinions, toutes les causes de son redoutable ami de Berlin, sans malheureusement posséder son étonnante flexibilité d’esprit, son art merveilleux de se tourner et de se retourner. Rien par exemple n’égale l’adresse avec laquelle M. de Bismarck sait à l’occasion oublier un passé importun, ne plus se souvenir surtout de ses torts envers autrui ; il a même pour cela un euphémisme charmant, il appelle cela un