Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/771

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

landwehr prussienne qui depuis un demi-siècle n’avait pas senti la poudre, — et c’est sur ce frêle esquif, dans cette « coque de noix, » comme eût dit le Puck du Midsummer night’s dream, que fut embarquée la fortune de César et celle de la France ! .. Tout le monde en effet croyait à ce moment à la supériorité militaire incomparable de l’Autriche sur sa rivale téméraire en Allemagne ; personne n’admettait la possibilité d’une victoire prussienne, encore moins d’une victoire aussi décisive et aussi foudroyante que devait l’être Sadowa. « C’était là, disait plus tard M. Rouher dans une séance mémorable du corps législatif, c’était là un événement que l’Autriche, que la France, que le militaire, que le simple citoyen, avaient considéré tous comme invraisemblable, car c’était comme une présomption universelle que l’Autriche devait être victorieuse, et que la Prusse devait payer et payer chèrement le prix de ses imprudences… » Cette présomption, très réelle et universelle alors, demeurera la seule excuse de Napoléon III devant l’histoire, dans cette fantasmagorie lamentable qui fut annoncée au monde par le discours d’Auxerre au mois de mai 1866, mais dont les origines remontent à la convention de septembre et à la première excursion de M. de Bismarck en France après sa campagne de Danemark, en automne 1864[1].

« J’ai du moins une supériorité sur mon vainqueur, dit après la bataille d’Austerlitz, avec une dignité non dépourvue certes de finesse, l’empereur d’Autriche François Ier à M. de Talleyrand, le négociateur de la paix de Presbourg ; je puis rentrer dans ma capitale après un si grand désastre, tandis qu’il serait difficile à votre maître, malgré tout son génie, de faire la même chose dans une situation semblable. » Ce mot curieux fait ressortir d’une manière bien saisissante le vice profond, incurable, de tout césarisme. Pas plus que le vainqueur d’Austerlitz, Napoléon III ne pouvait accepter d’échec ; il était tenu de faire grand, condamné au succès et au prestige. Aussitôt après les mésaventures et les mécomptes dans les affaires de Pologne, de Danemark et du congrès, il dut songer à une revanche, il dut reporter ses regards du nord au sud, et « prendre une attitude » par la convention de septembre, qui semblait être la préface d’une nouvelle et grande œuvre. On était isolé en Europe, aigri contre l’Angleterre, très gêné vis-à-vis de la Russie, plus que froid avec l’Autriche, et c’est avec un certain tressaillement intime qu’on vit M. de Bismarck accourir en France (octobre 1864) à la première nouvelle de la convention conclue avec le cabinet de Turin. Évidemment on allait « faire quelque chose

  1. Voyez la Revue du Ier octobre 1868, les Préliminaires de Sadowa, ainsi que l’ouvrage si instructif du général La Marmora, Un pi più di luce, Firenze, 1873.