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de Saint-Marc. Il en profita du moins pour décider le roi à signer le traité secret du 8 avril avec le gouvernement de Florence ; mais bientôt l’offre de désarmement faite par le cabinet de Vienne, les débats au sein du corps législatif et les manifestations de l’opinion publique en France, de plus en plus favorable à la cause de la paix, apportaient une accalmie désespérante et redonnaient courage aux nombreux partisans de l’Autriche à la cour de Guillaume Ier. L’empereur Napoléon III rendit alors au ministre prussien le service signalé de remettre en mouvement la grande machine politique qui commençait à se ralentir ; il prononça le discours d’Auxerre (6 mai) et jeta un défi plein d’imprécations aux traités de 1815. Cela ne l’empêcha point pourtant de dérouter aussitôt tous les plans de M. de Bismarck par la proposition soudaine d’un congrès, et, sous le coup de ce nouvel incident qui semblait tout compromettre, le président du conseil à Berlin parla pour la première fois de compensations pour la France. « Je suis bien moins Allemand que Prussien, dit-il au général Govone ; je n’aurais aucune difficulté à céder à la France tout le pays compris entre le Rhin et la Moselle, mais le roi aurait des scrupules très graves[1]. » Bien entendu, il eût demandé en retour au gouvernement français une coopération active à la guerre, ce qui n’entrait aucunement dans les vues de Napoléon III, ce que l’état de l’opinion en France ne permettait même pas de concevoir. Sur ces entrefaites, il apprenait que de nouvelles négociations venaient d’être entamées entre l’Autriche et la France au sujet de Venise, et que d’un autre côté le roi faisait à son insu des propositions à l’empereur François-Joseph pour un arrangement amiable : Guillaume Ier préférait toujours la petite question des duchés à la grande guerre pour la nationalité allemande ! On se doute quel dut être à ce moment l’état d’esprit du ministre qui, depuis bien des mois déjà, se plaignait devant le comte de Barral, le plénipotentiaire italien à Berlin, d’être trahi par ses agens à Londres, à Florence et à Paris. Il croyait de plus sa vie en danger depuis un attentat fait sur sa personne le 7 mai ; il n’était pas sans inquiétude sur son séjour à Paris pendant le congrès auquel il allait participer et qu’il redoutait à tant d’autres égards encore. « Il ne sort plus qu’accompagné, mandait le comte de Barral le 1er juin, et des agens de police français viendront jusqu’à la frontière pour le suivre pendant tout le voyage[2]. »

Le voyage n’eut pas lieu, comme on sait ; la Prusse, selon le mot de M. d’Usedom, fut « sauvée du congrès, » et le prince Gortchakof n’a pas peu contribué à cette œuvre de salut. Ami toujours

  1. Dépêche du général Govone du 3 juin 1866. La Marmora, p. 275.
  2. Télégrammes du comte de Barral du 7 avril et du 1er juin 1866. La Marmora, p. 141 et 266.