Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 10.djvu/798

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sujet, la rivalité du roi de France et de l’empereur d’Allemagne ? Est-ce seulement pour avoir le loisir d’étudier à fond et dans le plus grand détail les événemens de cette période ? Lui, qui excellait naguère à résumer en quelques pages des années aussi pleines que des siècles, a-t-il voulu cette fois donner l’exemple du récit amplement développé, studieusement détaillé, du récit qui s’applique à ne rien omettre et à faire tout valoir ? Oui, sans doute ; il y a pourtant, si je ne me trompe, autre chose encore que ce désir dans le choix du plan auquel s’est arrêté M. Mignet. Ces onze années, telles qu’il les a vues et reproduites, composent une sorte de drame à la Shakspeare. En lisant les deux volumes que l’auteur y consacre, on pense à ces chroniques où le poète fait revivre une période de l’histoire d’Angleterre. Je ne parle ni du style ni de la couleur, je parle de l’arrangement dramatique. C’est un drame que ce livre ; on y voit un prologue, une vive et impétueuse entrée de jeu, des complications émouvantes, des épisodes aussi variés que terribles, des batailles, une conspiration, la défaite et la captivité d’un roi, des enfans de France gardés sous les verrous par des geôliers féroces, et, bien que l’auteur soit aussi attentif à éviter l’effet que d’autres mettent d’ardeur à le poursuivre, il est impossible de ne pas admirer l’art qui a présidé à l’emploi de ces matériaux.

Voilà ce que je voudrais montrer à propos de la Rivalité de François Ier et de Charles-Quint. Assez d’autres ont vanté la haute sagesse de M. Mignet, la gravité de son style, l’élévation et la rectitude de sa pensée ; il me paraît juste autant qu’il est nouveau de signaler dans la plus récente de ses œuvres quelque chose d’analogue à ces grands drames historiques où les théâtres étrangers ont représenté toute une phase de la vie d’une nation. Lorsque Shakspeare écrivait ses hardies chroniques dramatiques, le Roi Jean, le Roi Richard II, le Roi Henry V, le Roi Richard III, le Roi Henry VIII, lorsqu’il composait les deux parties du Roi Henry IV et les trois parties du Roi Henry VI, assurément il faisait d’abord œuvre de poète ; on ne saurait dire pourtant que de telles pages ne puissent être aussi réclamées par l’histoire. M. Mignet, historien par-dessus tout, historien sévère et scrupuleusement exact, a disposé de telle sorte sa Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, que la poésie dramatique, en y regardant de près, y reconnaîtra sans peine quelque chose de son inspiration et de son art. C’est la philosophie des événemens passés, c’est du moins une sorte de géométrie politique et morale qui fait l’originalité du livre de M. Mignet sur la révolution française ; les ouvrages qu’il a consacrés au XVIe siècle, et parmi eux au premier rang la Rivalité de François Ier et de Charles-Quint, se recommandent par l’intérêt