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soutenu d’une action où les destinées royales expliquent les destinées des peuples.


II

Le prologue du drame, c’est l’introduction dans laquelle M. Mignet rappelle et apprécie les guerres d’Italie sous Charles VIII et Louis XII. Sans ces premières scènes, comment comprendre tout ce qui va suivre ? C’est le duché de Milan qui a été la cause principale et le principal théâtre des luttes de François Ier et de Charles-Quint. Cette terre d’Italie a été comme une enchanteresse pour François Ier. A l’heure la plus sombre de son règne, en 1523, quand la France est menacée d’une triple invasion, c’est vers le Milanais qu’il tourne les yeux, c’est le Milanais qu’il est impatient de reconquérir. Il faut donc savoir par quelles circonstances Charles VIII et Louis XII ont légué à leur successeur ces tentations irrésistibles, vraie folie d’amour qui ne connaît point d’obstacles. Nous autres historiens littéraires, quand nous étudions cette période des guerres d’Italie, nous remarquons surtout ce que la culture française y a gagné. Nous comparons l’Italie et la France à la veille de ces singulières aventures, et, sans trop nous inquiéter du jugement que la politique en porte, nous applaudissons à un choc d’où la flamme a jailli. Voici deux souverains qui achèvent de régner à peu près vers la même époque, leur mort n’est séparée que par un intervalle de neuf ans. L’un est le roi d’un grand royaume, l’autre est le chef d’une petite république. Ai-je besoin dénommer Louis XI et Laurent de Médicis ? Louis XI meurt en 1483, Laurent de Médicis en 1492. Eh bien ! comparez la culture intellectuelle que représentent ces deux noms. Ici, dans la France de Louis XI, le moyen âge est mort et le monde nouveau n’est pas encore né. La grande affaire, c’est de consolider le trône, d’affermir l’unité politique. Point de loisirs pour les choses de l’esprit et de l’art, point de grandes œuvres, point de victoires. Toute la poésie du temps est représentée par Villon. La langue se débrouille lentement, péniblement. En un mot, tandis que la politique travaille, l’esprit littéraire se traîne entre le moyen âge qui n’est plus et l’avenir qu’on ne soupçonne pas encore. Heure triste, heure douteuse, ce n’est ni le jour ni la nuit, ni la vie ni la mort. Maintenant passez les Alpes : quelle richesse de sève ! quelle ardeur créatrice ! Ces monumens, ces églises, ces palais, ont été construits hier par des maîtres qui inspireront Michel-Ange, un Ghiberti, un Brunelleschi ! L’ivresse du beau a saisi tout un peuple. Le souffle de l’antiquité l’anime d’une vie nouvelle. Brillant, ingénieux, avide, il s’intéresse aux découvertes des savans, aux créations des artistes, aux fantaisies des poètes. La