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ans, il fut sous Louis XII, en 1508, un des héros de la journée d’Agnadel. Nommé connétable à l’avènement de François Ier, il eut une grande part à la victoire de Marignan.

La politique autant que la reconnaissance conseillaient à François Ier de s’attacher un tel homme. On ne pouvait impunément ni augmenter sa puissance, ni la tourner contre soi. La royauté fit l’un et l’autre, commettant à ce sujet toutes les fautes qu’elle pouvait commettre. On avait commencé par exalter son orgueil, on finit par l’accabler d’humiliations. A toute une série de faveurs excessives succède coup sur coup la série des disgrâces imméritées. Quelques-unes même sont des outrages. Huit mois après la bataille de Marignan, il est rappelé du Milanais, qu’il a gouverné avec autant de vigilance que d’habileté ; c’est Lautrec qui le remplace, Lautrec qui perdra tout. A la rupture de Charles-Quint et de François Ier, il est exclu des grands commandemens entre lesquels est partagée la France. Bien plus, il est déchu du droit de combattre à l’avant-garde, droit de connétable et de premier gentilhomme. Ce n’est pas assez d’humilier le puissant vassal, François Ier entreprend de le ruiner. Nous venons de voir tous les biens des deux principales branches de la maison de Bourbon, issue du sixième fils de saint Louis, concentrés aux mains du connétable par suite de son mariage avec Suzanne de Bourbon, fille d’Anne de France, fille de Louis XI. Charles de Bourbon était le dernier de ces grands possesseurs de fiefs à qui Louis XI avait fait une si terrible guerre. Les autres avaient été fauchés par le roi niveleur ; celui-ci, resté debout, était entré dans la famille du souverain, il était devenu le gendre de son gendre, le mari de sa petite-fille. En cas de malheur pour François Ier, il y avait là un roi tout prêt. Le connétable ne possédait-il pas déjà la moitié de la France ? Au centre, le duché de Bourbonnais, le duché et le dauphiné d’Auvergne, le comté de Montpensier, le comté de Forez, le comté de la Marche, — au sud, les vicomtés de Carlat et de Murat, — à l’est, la seigneurie de Beaujolais, longeant la rive droite de la Saône, et la principauté de Dombes, assise sur la rive gauche, — enfin, en dehors de ce groupe compacte de territoires, le duché de Châtellerault, enclavé dans le Poitou, et le comté de Clermont, situé en Picardie ; telle était vers 1523 la carte des états du connétable. Assurément c’était un royaume au cœur du royaume. Les ducs de Bourbon avaient une garde, levaient des impôts, assemblaient les états du pays, nommaient leurs tribunaux de justice et leur cour des comptes, ils pouvaient mettre une armée sur pied et entretenir des forteresses. A leur mort, l’abbaye de Souvigny les recevait dans ses caveaux avec une pompe toute royale, comme les caveaux de Saint-Denis recevaient les rois de France. L’héritier de cette puissance, qui venait de s’agrandir