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encore, était en cas de conflit un personnage à redouter ; pouvait-on compter sur les loyaux sentimens du vassal ? Charles de Bourbon est tout entier dans un mot que rapporte un chroniqueur du temps ; il répétait volontiers que sa fidélité résisterait à l’offre d’un royaume, mais ne résisterait pas à un affront. Or François Ier ne se contente pas de lui infliger affront sur affront, il veut le dépouiller, il lui conteste ses héritages, et déjà par son ordre le parlement est à l’œuvre pour accomplir l’iniquité. La reine-mère, Louise de Savoie, dont le connétable, devenu veuf, a refusé la main, lui réclame tout ce qui est féminin dans l’héritage des Bourbons ; François Ier lui réclame tout ce qui est masculin. Le plus grand seigneur de France va être réduit à la détresse comme le dernier des gentilshommes. S’y résignera-t-il ?

« Vous manquer de foi, sire ! J’en serais incapable, dussé-je y gagner votre royaume et l’empire même du monde ; mais s’il s’agissait de venger un outrage, je le ferais, n’en doutez point. » M. Mignet, qui a si heureusement découvert ce trait du prince dans le De rebus gestis Gallorum de Ferronius, y ajoute un éclatant commentaire emprunté au Titien. On sait que la vieille devise de la maison de Bourbon était ce mot si français : espérance, on sait aussi qu’avant la fin du XVIe siècle un Bourbon devait réaliser cette devise en ce qu’elle avait de plus haut ; or en 1523 le connétable substituait à la noble parole de ses pères cette devise criminellement menaçante : omnis spes in ferro. A l’heure où il jetait ce cri, dépouillé de ses états et forcé de combattre son roi, il s’apprêtait à envahir la France avec nos plus grands ennemis. C’est alors que Titien fit de lui ce portrait où l’histoire a lu tant de choses. « Sur ce front hautain, dit M. Mignet, dans ce regard pénétrant et sombre, aux mouvemens décidés de cette bouche ferme, sous les traits hardis de ce visage passionné, on reconnaît l’humeur altière, on aperçoit les profondeurs dangereuses, on surprend les déterminations violentes du personnage désespéré qui aurait pu être un grand prince et qui fut réduit à être un grand aventurier. »

Depuis cette nuit mystérieuse où le connétable recevait l’envoyé de Charles-Quint dans ses montagnes du Forez jusqu’au jour où Titien le représente si sombre, si terrible, la rage et le crime dans le cœur, voulez-vous savoir par quelles aventures il a passé ? Demandez-le au récit de M. Mignet. C’est une histoire tragique où les péripéties ne manquent pas. Dénoncé par deux de ses complices avant que le roi ait franchi les Alpes, poursuivi dans ses montagnes, essayant vainement de résister, fuyant de château en château, de forteresse en forteresse, courant à cheval avec ses compagnons, qui emportent des sacoches pleines d’or, bravant les plus dures fatigues malgré la