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fièvre qui le dévore, obligé parfois de s’arrêter sous des arbres et y tombant évanoui, tantôt entouré des siens comme un chef et portant haut la tête, tantôt déguisé en valet pour se soustraire aux embûches, enfin n’ayant plus qu’une pensée : quitter au plus vite la France, où ses plans sont déjoués, et rejoindre ses alliés du dehors, le connétable a connu pendant un mois les émotions les plus violentes, traversé les fortunes les plus diverses, et amassé au fond de son cœur des ressentimens implacables. Lorsqu’il eut échappé à tant de poursuites, le roi, impatient de passer en Italie et toujours plein d’inquiétude sur la fidélité intérieure du royaume, fit offrir au fugitif la restitution immédiate de ses biens, le remboursement sur le trésor royal de ce qui lui était dû, le rétablissement de ses pensions avec l’assurance qu’elles lui seraient exactement payées à l’avenir. Bourbon répondit : Il est trop tard !

Dans ce sombre épisode de la conjuration du connétable, un fait particulièrement sinistre à mon avis, c’est le rôle d’Anne de Beaujeu, la noble fille de Louis XI, qui avait si sagement gouverné la France pendant la minorité de son frère Charles VIII. On a vu qu’elle avait marié sa fille Suzanne au connétable ; lorsque le connétable fut menacé de perdre tous ses biens, elle aussi elle oublia tout, elle oublia la France et cette œuvre du roi son père qu’elle avait soutenue d’une main si ferme. C’est sur les prières, sur les ordres de la fille de Louis XI que le connétable conclut sa criminelle alliance avec Charles-Quint. « Mon fils, lui dit-elle avant de mourir, considérez que la maison de Bourbon a été alliée de la maison de Bourgogne, et que durant cette alliance elle a toujours fleuri et été en prospérité. Vous voyez à cette heure ici les affaires que nous avons, et le procès qu’on vous met sus ne procède qu’à faute d’alliance. Je vous prie et commande que vous preniez l’alliance de l’empereur. Promettez-moi d’y faire toutes les diligences que vous pourrez, et j’en mourrai plus contente. » En lisant ces dernières paroles, on ressent comme une atteinte au cœur. Une fille de roi, une régente de France, déclarant qu’elle mourra satisfaite, si elle peut compter sur la trahison d’où sortira la ruine de la patrie ! Anne de France parlant de la sorte, comment s’étonner que le sentiment français soit encore si mal assuré au cœur de la noblesse ? On lira dans M. Mignet le nom des gentilshommes qui ont voulu livrer le pays aux vengeances du connétable. Dès l’été de 1522, le sénéchal de Bourbonnais, d’Escars, seigneur de La Vauguyon, La Coussière, La Tour-de-Bar, et capitaine de 50 hommes d’armes, se trouvant dans la ville de Thérouanne, assiégée par les impériaux, avait obtenu la permission d’aller conférer avec Adrien de Croy, seigneur de Beaurain, l’un des chambellans de Charles-Quint. Il s’agissait