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pas voulu d’argent pour le délivrer. Il m’a trompé ; je ne me fierai jamais plus à lui sans avoir de gage de sa parole. Aujourd’hui il me semble en avoir de bons entre les mains. S’il compte les avoir par force, je l’assure qu’il n’y parviendra pas tant qu’il restera pierre sur pierre dans un de mes royaumes, fussé-je forcé de reculer jusqu’à Grenade. »

Ainsi, jusqu’au fond de l’Espagne, jusqu’à la dernière de ses forteresses, tant qu’il lui resterait un cachot derrière des murailles, il garderait les enfans du roi de France, à moins que le roi de France, exécutant le traité de Madrid, ne lui livrât la Bourgogne ! Menace terrible, car on connaissait l’opiniâtreté de l’empereur. De plus l’obstination têtue qui lui était propre en toutes choses était exaspérée cette fois par la colère. Dans cette même séance, où Jean de Calvimont avait eu la témérité de parler si haut, Charles-Quint lui avait dit avec véhémence : « J’ai usé envers votre roi de libéralité et de magnanimité, et lui a usé envers moi de pusillanimité et de perfidie. Il n’a point agi en vrai chevalier, ni en vrai gentilhomme, mais méchamment et faussement. » Et ajoutant la provocation à l’insulte, il avait prononcé ces mots : « Plût à Dieu que ce différend eût à se débattre entre nous deux, de sa personne à la mienne, sans exposer tant de chrétiens à la mort ! Je crois que Dieu montrerait sa justice. » Ce défi outrageant ne fut connu de François Ier que deux années plus tard. Jean de Calvimont, qui avait compromis la cause des enfans de France en voulant trop vivement la défendre, comprit qu’il ne fallait pas envenimer davantage la situation ; il ne dit rien au roi son maître de la provocation de l’empereur. Seulement en 1528, lorsque les envoyés de Henry VIII, de François Ier et du pape Clément VII portèrent à l’empereur une solennelle déclaration de guerre, Charles-Quint revint à la charge et dit à l’envoyé français : « Je crois que le roi votre maître n’a pas été averti d’une chose que j’ai dite à Grenade à son ambassadeur, le président de Bordeaux, et qui le touche fort. Je le tiens si gentil prince qu’il m’eût répondu s’il l’eût sue. » Ces paroles ayant été rapportées à François Ier, Calvimont fut mis en demeure de s’expliquer, mais il allégua fort sagement qu’il n’avait aucune souvenance de ce que l’empereur avait pu lui dire à Grenade. C’est alors que Charles-Quint lui fit adresser, à lui Calvimont, cette lettre qui devait atteindre directement le roi de France : « Vous ne voulez avoir souvenance de ce que je vous ditz pour en avertir le roi votre maître. Je vous ditz que le roi votre maître avait fait lâchement et méchamment de n’avoir gardé la foi que j’ai de lui selon le traité de Madrid, et que, s’il voulait dire le contraire, je le lui maintiendrais de ma personne à la sienne. »

On sait quelle fut la colère de François Ier lorsqu’il eut