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que nature, est particulièrement raffinée dans sa férocité. « Belles-mères et brus, dit un proverbe sicilien, sont venues au monde en se battant, » et cette fois le proverbe exagère à peine. Tels sont les personnages nécessaires des contes : il y a aussi quelquefois des femmes coupables, beaucoup moins cependant que dans les fabliaux du moyen âge et des romans contemporains ; il y a encore des personnages secondaires appartenant à toutes les castes et à tous les métiers, mais ils ne jouent jamais que des rôles accessoires. Au-dessus des princes et des rois flottent les fées, bienfaisantes pour la plupart, bien qu’elles soient condamnées par l’église comme des esprits malins ; le peuple sicilien croit encore en elles et les voit passer sous diverses formes d’animaux ; elles lui apparaissent aussi comme des femmes superbement vêtues, qui sortent une fois par semaine en quête de bienfaits à distribuer… Dans les contes siciliens, la fée est une jeune fille charmante qui se grime parfois en sorcière, mais qui se montre le plus souvent dans toute la fraîcheur de sa beauté. Elle est toujours présente à la naissance d’un fils de roi, qu’elle comble aussitôt de ses dons en le berçant d’un refrain fatidique. Elle prend souvent la figure d’un ermite à longue barbe qui se trouve juste à point pour guérir un blessé, recueillir un fugitif et réparer ou prévenir un grand malheur… Puis elle rentre dans le souterrain, dans la source ou dans le tronc d’arbre où elle a élu domicile, heureuse de faire du bien, mais très capable aussi de faire du mal, car elle est capricieuse et surtout susceptible (ce sont des défauts que l’homme attribue à tous les êtres surnaturels) ; elle n’entend jamais raillerie. Elle est de plus très vulnérable dans son pouvoir magique, qui tient quelquefois à un voile, à une bague, à un ruban. Qu’elle perde ces talismans, elle redevient une simple mortelle ; il faut de plus qu’elle reste vierge, non qu’elle y soit forcée par un vœu, comme les vestales et les religieuses ; mais, si elle se marie, elle n’est plus qu’une femme comme les autres, sujette à vieillir et à mourir. C’est grand dommage, car les fées sont des êtres heureux : elles enchantent tout ce qu’elles touchent ; telle jeune fille qu’elles ont dotée fait tomber de ses cheveux, quand elle les peigne, d’un côté des diamans et des perles, de l’autre de l’orge et du froment. La poupée qu’elles ont bénie rend un prince fou d’amour ; les oiseaux parlent et révèlent des secrets qui font plaisir ; un petit couteau traçant des chiffres sur les arbres d’une forêt en fait couler autant de pièces d’argent qu’il y creuse d’entailles. Un os d’un fils de roi égorgé par ses frères et enterré dans un champ tombe dans les mains d’un berger qui en fait un chalumeau : il en sort aussitôt des lamentations qui dénoncent les fratricides. Les fées protègent particulièrement les bossus, qui, grâce à elles, sont les plus allègres des hommes. Elles protègent aussi les cadets de