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se mordant les doigts, frappant la colonne de la main qui a souffleté le Christ et heurtant du front la paroi opposée. Malchus, plus malheureux que Buttadea, ne voit personne, vit de soupirs et de remords, n’a aucun rapport avec les vivans ; pour aller jusqu’à lui, il faut ouvrir sept portes de fer, se laisser glisser dans sept galeries et traverser sept longs corridors. Les Siciliens, comme les Napolitains, l’appellent Marco.

Il y a encore un Juif, dans ces légendes. : c’est Judas, qui, après s’être pendu à un tamarix, ne fut pas précipité dans les flammes ni dans les glaces éternelles, mais fut condamné à flotter éternellement dans les airs, toujours à la même hauteur, et chaque fois qu’il passe sur un tamarix, il y voit son corps pendu, déchiqueté par les chiens et les oiseaux de proie. Un autre personnage bien connu, enfermé dans un caveau de Rome, assis devant une table, lit avec une assiduité fatale, de l’aube au soir et du soir à l’aube, sans en pouvoir jamais détacher les yeux, une grande feuille de papier déroulée devant lui. Cette feuille contient un arrêt de mort qu’il a porté. Un jour, un jeune homme descendit dans ce caveau, il en sortit vieillard, effaré, méconnaissable, ne proféra plus un seul mot de sa vie, et ne voulut voir que le pape, auquel il montra son épaule nue, où l’éternel lecteur avait écrit en lettres de sang : « Je suis Pilate. »

Veut-on maintenant passer des Juifs aux premiers chrétiens ? L’imagination populaire, on va le voir, prend avec eux ses coudées franches. Le maître, content les Siciliens, cheminait un jour avec ses apôtres ; la nuit le prit en pleine campagne. — « Pierre, comment ferons-nous ce soir ? — Ce n’est rien, dit Pierre, je vois là-bas une hutte et je sais une bergerie ; venez avec moi. » Vite, vite, l’un derrière l’autre, ils sont arrivés à la bergerie. « Grâce de Dieu et vive Marie ! pouvez-vous nous donner asile pour cette nuit ? Nous sommes de pauvres pèlerins fatigués et morts de faim. — Grâce de Dieu et vive Marie ! » répondirent le maître berger et la bergère, et, sans faire un pas vers eux, ils leur montrèrent la hutte où ils les envoyèrent coucher. Ils étaient en train de pétrir la pâte, mais donner à manger à treize en risquant de rester, eux, la panse vide, ils n’y tenaient pas du tout. Le pauvre maître et ses apôtres allèrent se coucher sans dire un mot. Survint une bande de voleurs, qui entra en poussant des jurons. Ils tombèrent à tour de bras sur la bergère et sur le maître berger. Ceux-ci, en criant miséricorde, ont pris la fuite illico (illichi-illichi). Les voleurs nettoyèrent la bergerie en un clin d’œil, après quoi ils allèrent à la hutte. « Tous debout ! Qui est là ? — Nous sommes, dit saint Pierre, treize pauvres pèlerins fatigués et affamés, car ceux de la bergerie nous ont traités comme des chiens, sans même nous dire : Il y a ici une chaise. — Si c’est comme cela, venez, la pâte est encore intacte :