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désignent le tire-bouchon. Demandez pourquoi ; l’on vous répondra qu’un jour une réunion de pasteurs discutaient sur un passage de l’Évangile, et que, pour se mettre d’accord, ils voulurent consulter le texte même, mais aucun d’eux n’avait sur lui son Nouveau-Testament. Vint l’heure du dîner, et il s’agit de déboucher une bouteille. « Qui de vous, messieurs, a un tire-bouchon ? » Ils étaient une vingtaine ; vingt tire-bouchons sortirent aussitôt des poches pastorales. Cette première anecdote lâchée, on vous en dira vingt autres pareilles ; cependant tous les convives sont orthodoxes et ont fait la prière avant de rompre le pain. Là où la religion est triste, on peut toujours la soupçonner, sinon d’hypocrisie (il faut éviter les mots durs), au moins d’une certaine affectation qui a pu tourner en mauvaise habitude.


III

Voyons maintenant si ces contes peuvent fournir à la science quelques documens nouveaux. Ce qui frappe tout d’abord, c’est à quel point ils ressemblent à ceux des autres provinces italiennes. Il fut un temps (c’était hier) où l’Italie, morcelée en petits états, ne permettait pas à ses enfans du midi de connaîtra ceux du nord. Ces états mêmes se partageaient en compartimens distincts séparés par des clôtures qu’il n’était pas facile de franchir : les Abruzzais par exemple, les Campaniens, les Apuliens, les Lucains, les Calabrais, les Siciliens coexistaient bien sous le sceptre plus ou moins dur du même prince, mais n’avaient pas même un nom commun pour les désigner tous : on avait bien trouvé une combinaison géographique et politique appelée les Deux-Siciles, mais on n’avait jamais pu constituer un peuple appelé les Deux-Siciliens. Eh bien ! malgré cette dispersion et cet isolement, les Italiens communiquaient entre eux par la poésie, échangeaient des strophes, des idées, des images, et ceci même entre illettrés, par d’insaisissables transmissions que la police ne pouvait réprimer ni prévenir. Un rispetto sicilien dit qu’un garçon alla se confesser au pape d’aimer une femme éperdument. « Si c’est comme cela, répond le pape, sois pardonné ; par pénitence, aime-la encore davantage. » La même idée se retrouve dans des chansons populaires de Toscane, du Piémont, de Ligurie, de Vérone et de Milan, seulement il y a des variantes ; dans la chanson génoise, le pape prononce, sans trop de rigueur, cet arrêt, « que ce n’est pas péché d’aimer, pourvu que la fille soit belle. » A Milan, c’est au curé qu’on s’adresse : « Si c’est péché, répond-il, que ce soit péché (peccato sia) ; ma mère l’a fait aussi. » Voilà, qui nous ramène à la pointe gauloise :

Eh ! mes petits-enfans, pourquoi,