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légendes indiennes, et que les Arabes au moyen âge en rapportèrent beaucoup d’autres de l’extrême Orient ; il est probable que ces légendes passèrent dans les fabliaux, puis des fabliaux dans les nouvelles de Boccace et de Straparole, et qu’elles se répandirent ainsi de la littérature dans le peuple, chez qui la littérature va maintenant les repêcher. Dans cette transmission incessante de plume à plume et de bouche à bouche, ces histoires se sont singulièrement modifiées, tantôt abrégées et tantôt grossies par la fantaisie du narrateur ; plusieurs ont été accouplées, d’autres simplifiées au point que le trait accessoire est devenu le point essentiel, le sujet même du récit ; les personnages surtout se modifient et descendent de plus en plus ; ce qui était dieu devient homme. Il serait donc bien difficile d’admettre, malgré tout le plaisir que cela pourrait faire aux indianistes, que ces traditions furent apportées en Sicile par les premiers Orientaux qui s’y installèrent, et qu’elles n’en sont plus sorties depuis lors. On sait avec quelle érudition et quelle sagacité ces migrations des mythes ont été étudiées par MM. Benfey, Max Müller, et par un professeur italien, M. de Gubernatis, qui a écrit en anglais une Mythologie zoologique, récemment traduite en français. Les savans supposent un temps primitif, antérieur à la formation des nationalités distinctes ; dans cette période se forment des élémens mythiques, « c’est-à-dire des propositions conçues au présent et exprimant simplement un phénomène naturel mythologiquement envisagé. » On dit par exemple : Céphale aime Procris, fille de Hersé ; c’est-à-dire le soleil à la tête lumineuse aime la goutte de rosée dans laquelle il se reflète tous les jours. Eos aime Céphale : l’aurore aime le soleil, car il sort tous les matins de ses bras. Céphale tue Procris : le soleil absorbe et détruit la rosée. « Voilà des expressions bien claires, dit M. F. Baudry, et qui ne diffèrent de la réalité que par la forme métaphorique ou, pour mieux dire, analytique que leur imposait la pensée enfantine de nos premiers ancêtres. Maintenant supposez-les reliées par des hommes qui en auraient oublié le sens : le mythe va naître spontanément, c’est-à-dire que les hommes, tourmentés du besoin d’inventer une explication pour ce qu’ils ne comprennent plus, vont, par une pente d’autant plus invincible qu’ils sont plus simples, composer une anecdote où tout cela sera relié. C’est l’effacement du sens primitif qui amène leur imagination à suppléer aux lacunes et à grouper en fable mythologique les élémens mythiques reliés. » Plus tard, le mythe se transforme encore, et devient le conte populaire, qui en est en quelque sorte le dernier écho. « Ce n’est plus cette production poétique à laquelle l’humanité supérieure avait part, mais, si l’on peut ainsi dire, c’est un résidu repétri par les plus simples, tels que les mères-grands et les nourrices. »