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église nationale, c’est-à-dire d’une église indépendante de toute juridiction étrangère et faisant converger le patriotisme, la foi et le genre préféré de piété de la majorité des habitans du pays où elle domine[1].

Il est clair qu’une telle constitution ne la mettait pas à l’abri des luttes extérieures ni intérieures ; mais je suppose qu’on est aujourd’hui revenu partout de la théorie qui faisait du calme plat dans une église quelconque une des grandes marques de son institution divine. Ce n’est pas seulement le monde visible que Dieu a livré aux discussions humaines. Au dehors, l’église anglicane avait toujours à se défier de sa redoutable rivale, l’église romaine, qui par deux fois sous les Stuarts se crut à la veille de la renverser ; en Angleterre même, elle devait subir les agressions du calvinisme anti-épiscopal, de ce puritanisme liturgique et doctrinal qui lui reprochait d’être presque aussi corrompue que « la femme écarlate siégeant sur les sept collines. » Au dedans, le même antagonisme du principe hiérarchique-traditionnel, dont le prolongement ramenait du côté de Rome, et du principe biblique-réformateur dont les chauds partisans rejoignaient aisément les puritains, déchirait à chaque instant la couverture habilement jetée sur leurs oppositions, d’autant plus que chacun, des deux côtés, cherchait à la tirer toute à soi. Cette double préoccupation, très peu favorable aux études indépendantes et philosophiques, remplit tout le XVIe et la plus grande partie du XVIIe siècle anglican. Toute la littérature théologique de ce temps est absorbée par les querelles entre les catholiques et les protestans, puis entre les prélatistes ou partisans de l’épiscopat traditionnel et les puritains. De là d’interminables traités sur les droits de l’épiscopat, sur la valeur des traditions, sur la nature de l’église, sur l’autorité des pères, le tout rédigé selon la méthode pesante, diffuse, souverainement ennuyeuse, alors admise et exigeant aujourd’hui plus d’un genre de courage des curieux qui s’avisent d’en explorer les cryptes poudreuses. Inutile d’ajouter que leur caractère commun consiste dans une suprême intolérance à l’égard des mal pensans. Le libéralisme religieux, à supposer que l’idée en fût venue à ces rudes fabricans de théologie scolastique,

  1. Saisissons cette occasion de relever une erreur accréditée sur le continent, où l’on s’imagine trop souvent que la suprématie de la couronne dans les affaires religieuses condamne l’Angleterre à une sorte de césaro-papisme dégénérant en tyrannie oppressive des consciences. Nous avons tous pu rencontrer sous la plume d’écrivains plus plaisans que bien informés des railleries de haut goût sur la « reine-papesse » ou « le pape en jupons. » La vérité est qu’en Angleterre, qu’il s’agisse de religion ou de politique, la couronne est censée tout faire, en réalité ne fait rien ou presque rien. C’est le ministère responsable, par conséquent la majorité parlementaire, en dernier ressort l’opinion du pays qui décide.